Gerard Serra-Vidal et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Heterogeneity in Palaeolithic Population Continuity and Neolithic Expansion in North Africa. Ils ont séquencé 17 génomes d'Afrique du Nord appartenant à différentes populations Berbères ou Arabes entre le Sahara Occidental et l’Égypte. Le génome des anciens individus préalablement obtenus des Guanches des îles Canaries, des Paléolithiques et des Néolithiques du Maroc a été ajouté à ces échantillons. Dans la figure ci-dessous les anciens échantillons sont représentés par des triangles, les Berbères par des carrés et les Arabes par des disques:
Ces génomes ont été comparés à ceux obtenus de différentes populations Sub-sahariennes et Eurasiennes.
Les auteurs ont réalisé une Analyse en Composantes Principales. Dans la figure ci-dessous, la première composante sépare les populations Eurasiennes (à gauche) des populations Sub-sahariennes (à droite). La seconde composante sépare les populations Européennes (en bas à gauche) des populations du Moyen-Orient (en haut à gauche). Les populations Nord Africaines se situent entre les populations du Moyen-Orient et celles Sub-sahariennes:
Les auteurs ont également réalisé une analyse avec le logiciel ADMIXTURE:
Dans la figure ci-dessus obtenue pour K=6, la composante noire est une composante Sub-saharienne, la composante blanche est d'origine Néolithique d'Anatolie, la composante bleue est maximale chez les populations actuelles des bédouins du Moyen-Orient et très importante chez les anciens Natoufiens du Levant, la composante violette est maximale chez les anciens chasseurs-cueilleurs du Caucase et les fermiers Néolithiques d'Iran, la composante orange est maximale chez les anciens Paléolithiques (Taforalt) et Néolithiques Anciens (IAM) du Maroc et la composante jaune est maximale chez les anciens chasseurs-cueilleurs d'Europe.
Le logiciel fineStructure confirme la présence de la composante issue du Paléolithique du Maroc dans toutes les populations Nord Africaines.
Le changement génétique observé par l'apparition de la composante blanche dans le génome des anciens fermiers de la fin du Néolithique du Maroc (KEB) indique une migration à cette époque en Afrique du Nord en provenance du Proche-Orient qui ne fait cependant pas disparaître la composante Paléolithique orange dans les populations actuelles d'Afrique du Nord.
La statistique f3 indique que la composante Paléolithique du Maroc est plus élevée chez les anciennes populations du Néolithique du Maroc ou des Guanches des îles Canaries que chez les populations actuelles d'Afrique du Nord suggérant ainsi une dilution progressive de cette ancienne ascendance avec le temps. Cette composante est significativement plus élevée à l'ouest de l'Afrique du Nord qu'à l'Est, et notamment chez les populations Berbères. A l'inverse les populations actuelles de Libye et d’Égypte montrent une plus forte proportion d'ascendance du Caucase et d'Iran.
Les populations Nord Africaines ont été décrites comme issues d'un mélange génétique entre une population Eurasienne et une population Sub-saharienne. Ces hypothèses sont confirmées par la statistique f3. Cependant certaines populations Nord Africaines ne montrent pas ce résultat probablement à cause de leur forte dérive génétique, comme les Mozabites, les Zenatas, les Saharaouis et les berbères de Tunisie. Les populations actuelles Eurasiennes qui sont le plus proches de la source du mélange génétique sont les Sardes, les Basques et les Italiens du Nord. Parmi les anciennes populations, les fermiers d'Anatolie et d'Europe sont les plus proches de cette source en accord avec la forte proportion de la composante Néolithique dans les populations d'Afrique du Nord. Ces résultats suggèrent l'importance du Néolithique dans la formation de ces populations. D'autre part, les résultats de cette étude indique que l'influence génétique des fermiers du proche-Orient a été plus importante en Afrique du Nord qu'en Europe. En effet les populations Européennes possèdent plus d'ascendance chasseur-cueilleur locale que celles d'Afrique du Nord.
Ces mélanges génétiques ont été datés avec le logiciel MALDER. Les résultats donnent une date qui varie de l'an 1329 pour les Saharaouis à 1644 pour les Égyptiens. Ils sont compatibles avec les estimations précédentes d'introduction de l'ascendance Sub-saharienne en Afrique du Nord.
Les auteurs ont ensuite mesuré les longueurs des segments homozygotes (ROH) pour détecté d'éventuelles dérives génétiques liées à la consanguinité (segments longs) ou à la petite taille de population effective (segments courts). Les populations d'Afrique du Nord montrent des valeurs intermédiaires entre les populations Sub-sahariennes et les populations Eurasiennes pour les segments ROH courts. Pour les segments longs, les valeurs sont équivalentes aux populations Sub-sahariennes et Eurasiennes à l'exception des berbères Tunisiens qui montrent une forte consanguinité. Il n'y a pas de corrélation entre le type de population: arabe ou berbère et la longueurs des segments homozygotes, ce qui infirme l'idée que les populations berbères seraient plus isolées que les autres. La taille des populations effectives en Afrique du Nord est similaire à celle des populations Eurasiennes.
Influences hétérogènes du Paléolithique et du Néolithique en Afrique du Nord
vendredi 22 novembre 2019. Lien permanent Génétique des populations
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4 réactions
1 De Rivi - 25/11/2019, 10:09
Bonjour Bernard et merci pour nous avoir résumé cet article fort instructif
Dites-moi si je me trompe :
La composante orange semble bien être celle des Ibéromaurusiens puisque c'est à eux qu'on attribue le site de Taforalt
On peut aussi voir une influence cardiale dans la composante blanche (on a retrouvé de nombreux sites de cette culture au Maroc notamment).
La composante noire provient évidemment d'influences subsahariennes (liées ou non à la traite)
Mais j'ai plus de mal à saisir l'origine des autres
A quoi attribuer la composante bleu ? A une expansion natoufienne s'étant produite à la fin du néolithique (les porteurs de la langue berbère ?)
A quoi est due la composante jaune des chasseurs-cueilleurs européens, à l'expansion romaine ?
Et la composante violette qui est maximale chez les Egyptiens et quasiment absente chez les Marocains, d'où vient-elle ?
Pourriez-vous m'éclairer ?
2 De Bernard - 25/11/2019, 14:25
Bonjour De Rivi,
Il est bien difficile de connaître l'origine exacte de toutes ces composantes. Il nous faut davantage d'ADN ancien en Afrique du Nord. On en a actuellement vraiment très peu, notamment par rapport à l'Europe.
3 De Rivi - 25/11/2019, 18:06
Merci Bernard,
Effectivement, il faut sans doute attendre d'avoir plus de données pour commencer à établir des hypothèses sérieuses.
Quelques pistes offrent cependant déjà matière à la réflexion :
Le site de Kaf Taht el-Ghar près de Tétouan, a ainsi été rattaché à l'expansion cardiale, dont on sait qu'elle est originaire d'Anatolie.
Les scientifiques parlent même de complexe lusitano-marocain pour décrire les cultures du néolithique ancien.
Quant au néolithique récent, le linguiste Alexander Militarev donne un foyer levantin à la famille afro-asiatique dont les premiers locuteurs seraient les Natoufiens.
Selon ce schéma, qui a de plus en plus de partisans, une branche afro-asiatique septentrionale aurait donné naissance vers 6 000 av. J.-C. à trois sous-branches : un proto-sémite qui aurait peu à peu conquis le Croissant fertile et la Péninsule arabique, un proto-égyptien qui aurait occupé la vallée du Nil et enfin un proto-berbéro-tchadique, qui se serait lentement répandu à travers le Sahara à partir de la Libye avant d'arriver finalement au Maghreb.
Les représentations retrouvées sur les sites sahariens d'Iheren et de l'Akukas, qui leur sont attribuées, offrent d'ailleurs un saisissant contraste avec le style plus ancien des « têtes rondes ».
On verra bien avec les années comme s'assemble le puzzle...
4 De FWA - 09/12/2019, 20:59
Bonjour,
Les composantes du logiciel ADMIXTURE ne correspondent pas nécessairement à des “populations réelles” qui auraient existées auparavant.
Les données proviennent des SNPs, collectées à partir des échantillons, qui contiennent les possibles variations des marqueurs génétiques. Les algorithmes produisent des statistiques, calculées sur la base des fréquences d’allèles, en créant des catégories (parfois choisies par l’utilisateur, ou dans d’autres cas « non supervisées »). En fonction des algorithmes, provenant soit des compagnies commerciales soit de certains logiciels tels qu’ADMIXTURE, les estimations varient plus ou moins. Dans le cas d’ADMIXTURE, ce sont des Fst qui établissent des « distances » génétiques autosomiques (autosomal DNA). Ils servent à différencier les composantes.
https://en.wikipedia.org/wiki/Fixat...
Grosso modo, plus les Fst entre les composantes sont élevés (au minimum > 0,05), plus l’analyse devient fiable. Les analyses intercontinentales, et dans certains cas, macro-régionales, produisent, en générale, des composantes qui, sur un plan archéologique ou historique, sont plus ou moins pertinentes.
En revanche, la différenciation des populations, à l’aide du logiciel, au niveau intracontinental avec des composantes qui ont des Fst aux alentours de 0,01, devient difficile à interpréter.
C’est justement le cas des populations européennes et méditerranéennes. Les degrés exacts de leur ancienne diversité génétique (remontant probablement au-delà de la période de l’âge du bronze) ne sont pas identifiables en se basant uniquement sur l’analyse autosomique de population contemporaine par ce logiciel.
Voir l’article de Lazaridis et al, 2017, où des Fst entre les populations issues de l’âge du bronze et modernes ont été produites: "Genetic origins of the Minoans and Mycenaeans".
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/ar...
Ce logiciel, ainsi que les tests d’ADN autosomiques, en général, produisent des résultats plus fiables pour les personnes issues de populations à la fois assez « distinctes génétiquement » les unes des autres, et aussi dans un temps récent du fait de la recombinaison de l’ADN autosomique.
Les populations afro-américaines, hispaniques et latinos ont des composantes qui reflètent, assez bien, l’histoire récente du peuplement du continent américain.
Les seules exceptions seraient des populations aux origines ancestrales révélant certaines diversités génétiques, encore détectables par l’analyse autosomique, et étant non comparables à celles de leurs populations voisines. Je pense à certaines d’Afrique de l’Est, notamment au Soudan, en Ethiopie, en Somalie et au Tchad, ou encore des Peuls/Fulanis en Afrique de l’Ouest.
Autre aspect, les migrations humaines suivent un schéma qui est chaotique et dynamique. Si on considère l’effet de recombinaison génétique de l’ADN autosomique qui se manifeste à chaque génération, et donc son degré de volatilité relatif, il n’est pas possible de reconstituer l’intégralité et la complexité de ces migrations à l’aide de ce logiciel, et encore moins en utilisant principalement des échantillons de populations modernes. Les logiciels f4-statistics , Dstat et f3-statistics sont, en général, mieux adaptés pour l’analyse et la comparaison des échantillons anciens avec les populations modernes.
Voir l’article suivant de Lawson et al., 2018 :
"A tutorial on how not to over-interpret STRUCTURE and ADMIXTURE bar plots."
https://www.nature.com/articles/s41...
Il me semble que l’ADN du chromosome Y et celui du génome mitochondrial ne sont pas suffisamment exploités. Bien qu’ils ne représentent qu’une partie (lignée ancestrale direct) de la totalité des contributions ancestrales, les haplogroupes Y-DNA et mtDNA restent identiques à travers le temps et offrent une continuité certaine, en raison de leurs mutations linéaires et unidimensionnelles. Avec l’apparition du séquençage à haut débit (NGS) de l’ADN et la réduction progressive de son coût, il est devenu possible de découvrir de nouvelles mutations (SNPs) à partir d’échantillons d’ADN (anciens ou provenant de bases de données publiques), correspondant à de nouveaux sous-clades, souvent étant estimés à seulement quelques siècles de notre époque. Les marqueurs STR sont aussi une autre option.
Voir : https://www.yfull.com/tree/
Avec le temps, de nombreux sous-clades (plus proches de notre époque) appartenant aux haplogroupes majeurs, peuvent être détectés, à mesure que l’ADN d’anciens échantillons et de certaines populations modernes seront analysés.
À propos de l’Afrique du Nord, une question fascinante reste sans réponse, s’agissant de l’origine précise de l’expansion rapide et récente de E1b-M81 (Neus Solé-Morata et al., 2017), et aussi en référence à l’article de Lazaridis (Lazaridis et al., 2016) sur le génome de certains individus, porteurs de E1b (upstream à E1b-M81), au Proche-Orient.