Le 3ème millénaire av. JC. était une période de migrations à grande échelle entre les steppes Ponto-Caspiennes et l'Europe, conduisant d'abord à la formation de la culture Cordée, puis à celle de la culture Campaniforme.
Karl-Göran Sjögren et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Kinship and social organization in Copper Age Europe. A cross-disciplinary analysis of archaeology, DNA, isotopes, and anthropology from two Bell Beaker cemeteries. Ils ont séquencé le génome de 34 individus issus de deux cimetières Campaniformes du sud de l'Allemagne proches de la vallée du Danube, situés à seulement 17 km l'un de l'autre: Irlbach et Alburg. Ils sont datés entre 2300 et 2150 av. JC.:
Ces deux cimetières ont été fouillés dans les années 1980 et comportent respectivement 24 et 18 sépultures correspondant toutes à des inhumations orientées nord/sud à l'exception de la tombe 18 de Alburg qui est une crémation. De plus, deux sépultures sont doubles et contiennent respectivement deux enfants et une jeune femme et un enfant. Si la plupart des sépultures contiennent des céramiques, seule la tombe 9 de Alburg possède un vase campaniforme décoré. Le cimetière de Irlbach contient 11 individus de sexe féminin et 9 de sexe masculin alors que celui de Alburg contient 7 individus de sexe féminin et 8 de sexe masculin. A Irlbach 14 individus sont des adultes (6 hommes, 7 femmes et le dernier de sexe indéterminé), et à Alburg 10 individus sont adultes (3 hommes et 7 femmes). A Irlbach il y a 7 enfants et 2 adolescents, à Alburg 5 enfants et 2 adolescents.
Les auteurs ont obtenus des résultats génétiques pour 18 individus de Irlbach et 16 individus de Alburg:
Tous les hommes appartiennent à l'haplogroupe du chromosome Y: R1b-M269. A chaque fois que cela a été possible de préciser la sous-clade, les individus appartiennent à la branche R1b-P312 qui est la branche dominante aujourd'hui en Europe occidentale. Cependant, comme la mutation P312 est arrivée plusieurs siècles avant la culture Campaniforme, cela ne veut pas dire que tous les hommes de ces deux cimetières sont très proches paternellement.
A l'inverse, les haplogroupes mitochondriaux sont très variés:
Ceci suggère une exogamie féminine: les femmes intègrent la communauté au moment de leur mariage. De manière intéressante, aucun haplotype n'est partagé entre les deux cimetières.
Les auteurs ont ensuite réalisé une Analyse en Composantes Principales. Dans la figure ci-dessous les échantillons contemporains sont représentés par des points gris et les échantillons anciens par des points jaunes:
Les individus des deux cimetières s'étirent entre les individus de la culture Cordée et les individus du Néolithique Européen, sans aucune distinction entre hommes et femmes.
Les auteurs ont ensuite analysé les relations familiales entre les individus. Il y ainsi des relations au premier degré entre les individus 3, 8 et 9 de Irlbach, 11 et 20 de Irlbach, 14 et 22 de Irlbach, 4 et 6 de Alburg, 9 et 12 de Alburg, 2 et 13 de Alburg, 1 et 2 de Alburg et 1 et 13 de Alburg. En combinant les informations liées au sexe, à l'âge, à la position de la tombe les auteurs ont déduit les informations suivantes:
- les individus 3, 8 et 9 de Irlbach sont probablement une mère et ses deux fils
- l'individu 20 de Irlbach est le père de l'individu 11
- l'individu 14 de Irlbach est le frère ou le fils de la femme 22
- l'individu 4 de Alburg est probablement la mère de la femme 6
- la femme 9 de Alburg est la mère de l'enfant 12
- les deux hommes adultes 2 et 13 et l'adolescent 1 de Alburg sont probablement des frères
Il y a également des parentés au second et au troisième degré. Ainsi les individus 14 et 20 de Irlbach sont reliés au 2d degré, les individus 20 et 22 de Irlbach sont aussi au 2d degré. Les individus 11 et 14 de Irlbach sont reliés au 3ème degré de même que les deux individus 11 et 22 de Irlbach. Ainsi l'individu 20 de Irlbach est non seulement le père de l'individu 11, mais aussi le neveu des individus 22 et 14. Les individus 4 et 6 de Irlbach sont peut-être reliés au 3ème degré. Les individus 1, 2, 4 et 5 de Irlbach sont probablement reliés au 3ème degré:
A Alburg, les individus 4 et 12 sont reliés au 2d degré, comme les individus 8 et 11. Les trois frères 1, 2 et 13 sont reliés au 2d ou 3ème degré à l'individu 4 et au 3ème degré à l'individu 12. Les individus 14 et 16 sont probablement reliés au 3ème degré. De même les individus 7 et 17 partagent le même haplotype mitochondrial suggérant une relation maternelle étroite:
Ainsi chacun des deux cimetières campaniformes inclut des groupes familiaux proches. Le cimetière de Alburg est bâti autour d'un seul noyau familial sur plusieurs générations et celui de Irlbach inclut plusieurs groupes peut-être reliés entre eux sur 5 ou 6 générations.
Les auteurs ont ensuité étudié les isotopes du strontium et de l'oxygène des squelettes de ces deux cimetières:
Les valeurs locales du Strontium sont représentées par la bande jaune ci-dessus (intervalle 0.709, 0.710). Ainsi les individus 8, 9 et 16 de Alburg et les individus 6, 11 et 16 de Irlbach sont non locaux. Les valeurs locales de l'oxygène sont représentées par la bande verte (intervalle -4.6, -6.4). Les échantillons se regroupent en deux clusters indépendamment du cimetière d'origine, du sexe ou de la phase chronologique. Il y a deux non locaux: les individus 2 et 4 de Irlbach. Ainsi en tout il y a huit individus non locaux, dont six femmes et deux hommes. Six sont des adultes et deux des enfants. Ces résultats suggèrent une fois de plus une forme de patrilocalité et une exogamie féminine.
Une des femmes non locales de Alburg est l'individu 9 qui est l'individu qui a le moins d'ascendance steppique et le seul enterré avec un vase campaniforme décoré. L'individu 16 de Alburg est celui qui a les plus fortes valeurs du strontium. C'est également un des individus qui a les plus fortes proportions d'ascendance steppique. L'adolescent 11 de Irlbach a sa tombe proche de son père (individu 20) à l'écart à l'est du cimetière.
En résumé, cette étude a mis en évidence les principes sociaux suivants:
- l'unité de base est un noyau familial. Le cimetière de Alburg commence avec la sépulture de deux frères et leur probable femme, et d'un possible troisième frère mort à l'adolescence. A Irlbach il y a aussi un démarrage à partir de la sépulture de deux frères dont la descendance se perpétue sur 4 à 6 générations.
- ces familles nucléaires sont basées sur le patriarcat.
- les mariages, probablement monogames, sont fondés sur l'exogamie féminine. Les femmes peuvent venir des milieux néolithiques ou des milieux Cordés.
- le système de succession est probablement basé sur la primogéniture masculine.
- les familles nucléaires forment des foyers indépendants.
- les familles forment des alliances par le biais de la parenté, les pratiques exogamiques des mariages et l'adoption d'enfants. Ces alliances forment des clans à l'échelle régionale.
D'autre part des études des sociétés traditionnelles en Indonésie ont montré que la langue est canalisée le long des lignages uniparentales. Ainsi lorsque une femme arrive dans le village de son futur mari, elle est forcée à apprendre sa langue. Ainsi ce système social dans les sociétés campaniformes a pu favoriser l'expansion des langues Indo-Européennes en Europe. Dans les premières sociétés Indo-Européennes, l'adoption des jeunes garçons appartenant à la famille de l'épouse (comme ses neveux par exemple) était une pratique courante.
Mise à jour
Ce papier a été définitivement publié en novembre 2020: Kinship and social organization in Copper Age Europe. A cross-disciplinary analysis of archaeology, DNA, isotopes, and anthropology from two Bell Beaker cemeteries