L'Asie de l'est est un des plus vieux centres de domestication des plantes et des animaux. Aujourd'hui, elle héberge un cinquième de la population mondiale qui parle des langues variées représentant sept familles linguistiques: Sino-tibétain, Taï-Kadaï, Austronésien, Austro-asiatique, Hmong-mien, Indo-européen, Altaïque (Mongolique, Turque, et Toungouse), Coréen, Japonais, Yukgahirique, et Tchouktche-kamtchadale. Depuis 10.000 ans, de profonds changements économiques et culturels sont apparus dans cette région. Cependant notre compréhension de la diversité génétique, des différents événements démographiques et des mouvements de populations durant la transition vers le Néolithique reste pauvre à cause du faible nombre d'échantillons testés aujourd'hui.

Chuan-Chao Wang et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: The Genomic Formation of Human Populations in East Asia. Ils ont testé 383 individus d'aujourd'hui appartenant à 46 populations de Chine et du Népal, ainsi que 191 anciens individus est asiatiques de différents contextes archéologiques. Il y a ainsi 89 anciens individus de Mongolie issus de 52 sites archéologiques datés entre 6000 av. JC et 1000 ap. JC., 20 anciens individus de Chine issus du site Néolithique de Wuzhuangguoliang, datés de 3000 av. JC., 7 anciens chasseurs-cueilleurs Jomon du Japon datés entre 3500 et 1500 av. JC., 23 anciens individus de Russie dont 18 issus du site Néolithique de Boisman datés d'environ 5000 av. JC., un individu de la culture Yankovsky de l'âge du Fer daté d'environ 1000 av. JC., trois individus des sites médiévaux de Heishui Mohe et de Bohai Mohe d'envrion 1000 ap. JC., et un chasseur-cueilleur de l'île Sakhalin daté du 19ème siècle, et enfin 52 individus de l'île de Taïwan datés entre 1400 av. JC. et 600 ap. JC.

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Les auteurs ont ajouté à ces échantillons, les anciens individus de la région préalablement publiés, à savoir quatre individus de la culture Jomon du Japon, huit individus du Néolithique du bassin de la rivière Amour issus du site de Devil’s Gate, 72 individus d'Asie du sud-est datés entre le Néolithique et l'Âge du Fer, et huit anciens Népalais.

Les auteurs ont réalisé une Analyse en Composantes Principales:

2020_Wang_Figure2a.jpg, mar. 2020

La figure ci-dessus montre que les échantillons se répartissent selon la géographie et l'appartenance linguistique, avec cependant quelques exceptions importantes. Ainsi les Chinois du nord-ouest, les Népalais et les Sibériens sont déviés vers les populations actuelles de l'ouest de l'Eurasie, reflétant plusieurs épisodes de mélanges génétiques. Les individus ayant peu d'ascendance ouest Eurasiennes se répartissent en trois clusters principaux. Le premier groupe est constitué par les populations du bassin de la rivière Amour en jaune ci-dessous. Le second groupe est constitué par les populations Népalaises en marron ci-dessous. Enfin le troisième groupe est constitué par les populations du sud-est Asiatique, notamment du sud de la Chine (en vert clair) et des populations de Taïwan (en vert plus foncé):

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Les Chinois Han en rose ci-dessus se trouvent dans une position intermédiaire. Notamment les Han du nord se retrouvent proche des anciens individus du site Néolithique Chinois de Wuzhuangguoliang. Les individus de Mongolie se répartissent en deux groupes. Le premier appelé groupe de l'est (en orange) se place à proximité des individus de la rivière Amour et le second appelé groupe de l'ouest (en bistre) se place proche des anciens individus de la culture Afanasievo.

Les trois plus anciens individus du groupe de l'est sont issus d'une région proche de la rivière Kherlen à l'est de la Mongolie (culture Tamsag-Bulag) datés entre 6000 et 4300 av. JC. Ces individus sont proches génétiquement des anciens individus du Néolithique de la région Cis-Baïkale avec très peu d'ascendance ouest Eurasienne. Sept anciens chasseurs-cueilleurs du nord de la Mongolie possèdent environ 5,4% d'ascendance issue des chasseurs-cueilleurs de l'ouest de la Sibérie (WSHG). Les deux plus anciens individus du groupe de l'ouest sont très différents génétiquement. Ils sont issus de la culture d'Afanasievo. Le plus ancien est daté entre 3316 et 2918 av. JC. Il est identique génétiquement aux autres individus de cette culture préalablement publiés de la région de l'Altaï. Ces individus sont similaires aux populations Yamnaya, suggérant une migration vers l'est au 4ème millénaire av. JC. De manière intéressante, le plus ancien individu de la culture Afanasievo de Mongolie appartient à l'haplogroupe du chromosome Y: R1b-L151 qui est l'haplogroupe des campaniformes d'Europe.

De nombreux anciens individus de Mongolie peuvent être modélisés comme issus d'un mélange génétique entre les groupes du Néolithique de Mongolie (en vert ci-dessous) et des chasseurs-cueilleurs de l'ouest de la Sibérie (WSHG) (en violet):

2020_Wang_Figure3.jpg, mar. 2020

De manière intéressante, un individu de la culture Afanasievo daté entre 2858 et 2505 av. JC., n'a aucune ascendance issue de la culture Yamnaya. Cependant l'héritage Yamnaya (en orange) se retrouve dans deux individus de la culture Chemurchek. Ils possèderaient ainsi environ 49% d'ascendance Afanasievo. Les cultures suivantes ne montrent pas d'ascendance Yamnaya. Cependant certaines présentent une ascendance issues des steppes via la culture de Sintashta (en rose ci-dessus). En effet ces individus possèdent de l'ascendance issues des fermiers Européens. Cette ascendance Sintashta varie entre 5 et 57% selon les individus. A partir du début de l'Âge du Fer, certains individus possèdent de l'ascendance issue des Han. D'autre part, l'ascendance Afanasievo qui avait disparue à la fin de l'Âge du Bronze dans la région réapparait durant l'Âge du Fer dans la culture Shirenzigou entre 490 et 190 av. JC. Ces données confortent l'hypothèse que les langues Tokhariennes du bassin du Tarim de la famille Indo-européenne, se soient diffusées à travers les migrations Yamnaya vers les montagnes de l'Altaï et la Mongolie, avant de se diriger vers le Xinjiang.

Les individus de la culture Boisman datés de 5000 av. JC. et ceux de la culture Yankovsky de l'Âge du Fer sont génétiquement similaires aux anciens individus de la grotte de Devil's Gate. Cette continuité génétique se retrouve également dans les haplogroupes du chromosome Y C2b et mitochondriaux D4 et C5 typiques de ces individus. Les individus de Boisman présentent une affinité génétique avec ceux de la culture Jomon au Japon. De plus la statistique f4 indique que les Amérindiens partagent plus d'allèles avec les individus de la culture Boisman, qu'avec la grande majorité des populations de l'Asie de l'est. Ces résultats suggèrent que cette culture est reliée à la population à l'origine de la migration vers les Amériques. De plus de nombreuses populations actuelles de la région du bassin de la rivière Amour possèdent de l'ascendance issue des Han de Chine.

Le plateau Tibétain dont l'altitude moyenne est d'environ 4000 m a d'abord été peuplé par les Dénisoviens il y a environ 160.000 ans, avant d'être occupé par les hommes modernes à partir de 40 ou 30.000 ans. Cependant son occupation permanente date seulement de 3600 ans, avec l'arrivée de l'agriculture. Les populations actuelles se regroupent en trois clusters selon leur profil génétique. Il y a les Chokopani proches des anciens individus du Tibet avec très peu d'ascendance ouest Eurasienne ou est Asiatique, les Tibétains du nord qui possèdent de l'ascendance ouest Eurasienne et les populations du couloir Tibéto-Yi qui possèdent de l'ascendance est Asiatique. L'ancienne population du site Néolithique de Wuzhuangguoliang est celle qui est la plus proche de l'ascendance est Asiatique chez les Tibétains. Les auteurs ont estimé que l'arrivée de cette ascendance au Tibet remonte entre 2240 et 1680 ans. Mais le début de ce mélange génétique pourrait remonter à 3600 ans avec l'arrivée du Néolithique au Tibet.

Dans le sud, les anciens individus de Taïwan sont proches génétiquement des anciens individus de la culture Lapita et des populations actuelles parlant une langue Austronésienne. Ils partagent également beaucoup d'allèles avec les populations du sud de la Chine de langue Taï-Kadaï. Cela conforte l'hypothèse selon laquelle les populations de langue Taï-Kadaï sont à l'origine de l'arrivée de l'agriculture à Taïwan il y a environ 5000 ans. De plus les anciens Jomons du Japon partagent plus d'allèles avec les anciens individus de Taïwan qu'avec la plupart des autres populations d'Asie de l'est à l'exception des populations de la région du bassin de la rivière Amour.

Les chinois Han forment le plus gros groupe ethnique de la région. Ils présentent un gradient génétique dirigé selon un axe nord-sud. Les populations qui partagent le plus d'allèles avec les Han sont les anciens individus du site Néolithique de Wuzhuangguoliang, les Tibétains actuels et les populations du bassin de la rivière Amour. Les Han seraient ainsi issu d'un mélange génétique entre une population proche de celle de Wuzhuangguoliang (77 à 93%) (en bleu ci-dessous) de la région du fleuve jaune et une population du sud-est Asiatique (en orange) de la région du fleuve Yangtsé où s'est développé la culture du riz.

2020_Wang_Figure4.jpg, mar. 2020

Les japonais actuels sont issus d'un mélange génétique entre les anciens Jomons (15,7%) et une population Han (84,3%) ou bien entre les anciens Jomons (12,4%) et une population Coréenne (87,6%).

La plupart des populations est Asiatiques peut être modélisée comme issue d'un mélange génétique entre deux anciennes populations reliées l'une à l'ancien individu de Tianyuan vieux de 40.000 ans et l'autre aux actuels Onge des îles Andaman. Selon ce modèle, les anciennes populations de Mongolie de l'est et ceux de la culture Boisman ont une forte proportion d'ascendance issue de l'individu de Tianyuan, contrairement aux autres populations d'Asie de l'est. Les anciens individus de Taïwan possèdent 14% d'ascendance issue des Onges. Les Jomons en ont environ 45%. Ces résultats suggèrent une ancienne route côtière pour la migration des premiers hommes modernes reliant le sud-est de l'Asie, le Japon et l’extrémité orientale de la Russie.

Mise à jour

Ce papier a été définitivement publié en février 2021: Genomic Insights into the Formation of Human Populations in East Asia