La Patagonie du sud est occupée par les hommes depuis au moins 12.600 ans. Une poignée de sites archéologiques sont datés entre 12.600 et 3500 ans. La densité de ces sites archéologiques augmente de manière significative ensuite. L'apparition de la technologie de navigation (canoës, harpons) date d'il y a environ 6700 ans. La colonisation des archipels à l'ouest de la Patagonie commence à cette date. Un débat existe pour savoir si cette technologie est apparue localement ou suite à la migration de population ou de diffusion d'idées depuis le nord. Un autre changement technologique apparaît dans l'archipel occidental avec la disparition de l'utilisation de l'obsidienne verte dans l'outillage entre 6300 et 5500 ans. Enfin il y a 2000 ans, on observe un accroissement de la taille de la population et des innovations technologiques.

Au 16ème siècle les premiers Européens décrivent cinq groupes Amérindiens pratiquant soit la chasse et la cueillette au nord et à l'est, soit la pêche au sud et à l'ouest. Les premiers sont les Aónikenk ou Tehuelche du sud et les Selk’nam. Les seconds sont les Yámana et les Kawéskar. A l’extrémité de la pointe sud-est de la Patagonie, les Haush se partagent entre la chasse aux animaux terrestres et la pêche aux animaux marins bien qu'ils ne possèdent pas de technologie de navigation.

Nathan Nakatsuka et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Ancient genomes in South Patagonia reveal population movements associated with technological shifts and geography. Ils ont séquencé le génome de 19 anciens individus de Patagonie datés entre 5800 et 100 ans, et un individu de la pampa Argentine daté de 2400 ans. Ces génomes (en gras ci-dessous) ont été comparés à ceux préalablement obtenus (en italique):

2020_Nakatsuka2_Figure1.jpg, août 2020

Les individus de cette étude appartiennent tous aux haplogroupes mitochondriaux: C1b, C1c, D1g5 et D4h3a et à l'haplogroupe du chromosome Y Q1a2a. Leur taux d'hétérozygotie est parmi le plus bas au monde correspondant à des populations peu nombreuses.

La statistique f4 montre que tous les anciens individus de Patagonie partagent plus d'allèles avec les autres individus de Patagonie qu'avec les anciens individus de la pampa Argentine ou du centre du Chili. Ce résultat suggère un degré significatif de continuité génétique en Patagonie depuis au moins 6600 ans.

Une analyse multi-échelle basée sur la statistique f3 montre que les individus de Patagonie de l'Holocène moyen se distinguent des individus plus récents. Ils se regroupent ensemble à l'exception de l'individu Ayeyama du Chili vieux de 4700 ans qui est déplacé vers les individus plus récents de l'archipel occidental de Patagonie:

2020_Nakatsuka2_Figure2b.jpg, août 2020

La figure ci-dessus montre également qu'à la fin de l'Holocène, les individus sont corrélés avec la géographie avec différents clusters correspondants aux individus de l'archipel occidental (en orange), à la région du canal Beagle (en rouge) et à la région correspondant au sud du continent et au nord de la Terre de Feu (respectivement en vert et bleu). Cependant les individus de la pointe de la péninsule Mitre (en violet) se répartissent sur un gradient génétique entre les clusters rouge et bleu.

La statistique f4 montre que les anciens individus de l'Holocène moyen: Punta Santa Ana du Chili daté de 6600 ans et La Arcillosa d'Argentine daté de 5800 ans sont à égale distance génétique de tous les anciens individus de Patagonie de l'Holocène final, et à égale distance génétique de tout autre groupe Amérindien en dehors de Patagonie. Or les résultats isotopiques montrent que l'individu de Punta Santa Ana a une diète marine alors que celui de La Arcillosa a une diète terrestre. Ces résultats suggèrent que l'adaptation au milieu marin dans le sud de la Patagonie n'est pas liée à une migration venue du nord, mais s'est faite localement.

De plus l'ancien individu d'Ayayema du Chili vieux de 4700 ans est plus proche génétiquement des individus de l'archipel occidental, des Kawéskar et Yámana, mais pas des Selk’nam, Aónikenk et Haush. Ce résultat suggère que l'ascendance génétique présente chez l'individu d'Ayayema a contribué aux individus plus récents basés sur des ressources marines. Cet individu d'Ayayema date du changement lié à la perte de l'utilisation de l'obsidienne verte dans l'archipel occidental. Ce changement technologique semble donc être lié à l'arrivée d'une population venue du nord où est situé Ayayema.

La statistique f4 montre également que les anciens individus de Conchali du Chili vieux de 700 ans partagent plus d'allèles avec les individus du sud de la Patagonie de l'Holocène final qu'avec ceux de l'Holocène moyen. De plus le logiciel qpAdm montre que les Kawéskar et Yámana peuvent être modélisés comme issus d'un mélange génétique entre les individus de Conchali (45 à 65%) et l'ancien individu d'Ayayema (35 à 55%). Ce modèle ne fonctionne pas si on remplace l'individu d'Ayayema par ceux de Punta Santa Ana ou de La Arcillosa. Ces résultats confirment le repeuplement de l'archipel occidental durant l'Holocène moyen. Par contre les Selk’nam de l'est peuvent être modélisés comme issus d'un mélange génétique entre les individus de Conchali (50 à 60%) et l'ancien individu de Punta Santa Ana ou de La Arcillosa (40 à 50%). Tous ces résultats suggèrent donc également l'arrivée d'une population venue du nord durant l'Holocène final, proche des anciens individus de Conchali et qui se sont mélangés avec tous les groupes du sud de la Patagonie.

En résumé cette étude indique l'arrivée d'au moins trois populations en Patagonie du sud. La première est datée d'au moins 6600 ans et correspond à l'arrivée des ancêtres de l'individu de Punta Santa Ana. La seconde est liée à l'arrivée de l'ascendance incluse dans l'individu d'Ayayema dans l'archipel occidental il y a plus de 2000 ans. La troisième apporte l'ascendance incluse dans les individus de Conchali, dans le sud de la Patagonie.

D'autre part l'analyse des anciens individus de l'Holocène final du sud de la Patagonie montre que les Selk’nam sont génétiquement intermédiaires entre leurs voisins Aónikenk, Haush et Yámana. Les Haush sont génétiquement intermédiaires entre leurs voisins Yámana et Selk’nam. Enfin les Yámana sont génétiquement intermédiaires entre leurs voisins Selk’nam et Kawéskar. Les dates de mélanges génétiques sont comprises entre 1200 et 2200 ans. En conclusion ces résultats suggèrent qu'il y a eu des mélanges génétiques entre chacun des groupes voisins du sud de la Patagonie.

Les auteurs ont utilisé le logiciel qpGraph pour modéliser les relations entre les différents groupes de Patagonie du sud:

2020_Nakatsuka2_Figure3.jpg, août 2020

Enfin la comparaison des génomes des populations actuelles de Patagonie du sud avec les anciens individus montre que toutes les populations actuelles partagent plus d'allèles avec les anciens individus de la même région suggérant ainsi une certaine continuité génétique.