L'Âge du Fer est caractérisé par une augmentation de la mobilité en Méditerranée. Les progrès de la navigation ont permis des voyages plus fréquents sur la mer facilitant les réseaux d'interactions et les conflits entre les peuples.
Au début de l'Âge du Fer, les cités-états phéniciennes et grecques ont établi des ports de commerce et des colonies à travers la Méditerranée. Une de ces colonies, Carthage, a été fondée par la ville de Tyr et est devenue la capitale des territoires phénico-puniques. Elle est localisée au carrefour de nombreuses routes commerciales et a dominé pendant 500 ans la région centrale de la Méditerranée jusqu'à l'expansion de l'empire Romain. D'autre part, les cités-états Étrusques ont prospéré en Italie centrale et du nord à la même époque. Leur culture matérielle suggère une continuité avec la culture Villanovienne précédente, mais également des contacts très importants avec d'autres populations.
Hannah Moots et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: A Genetic History of Continuity and Mobility in the Iron Age Central Mediterranean. Ils ont séquencé le génome de 30 anciens individus issus de quatre sites archéologiques du centre de la Méditerranée situés à Kerkouane (n=12) en Tunisie, à Pian Sultano (n=4) et Tarquinia (n=11) en Italie centrale et à Sant’Imbenia (n=3) en Sardaigne:
Ces données ont été ajoutées à des anciens génomes de l'Âge du Fer en Sardaigne (n=9) et en Italie (n=11) préalablement publiés, puis comparées avec d'autres anciens génomes du pourtour Méditerranéen. Les auteurs ont réalisé une Analyse en Composantes Principales:
Ainsi à Kerkouane (losanges violet ci-dessus), une ville Carthaginoise du nord de la Tunisie, on observe une population très hétérogène dont le gradient traverse la figure ci-dessus entre les Mozabites en bas à gauche jusqu'aux Siciliens actuels. Les échantillons se regroupent principalement en trois clusters. Le premier groupe est composé de quatre individus qui se regroupent avec les fermiers de la fin du Néolithique du Maghreb, suggérant qu'ils représentent la population autochtone d'Afrique du Nord:
Sur l'analyse avec le logiciel qpAdm indiquant les proportions des populations source qui composent son profil génétique, un des individus (R11778) possède 100% d'ascendance fermiers de la fin du Néolithique d'Afrique du nord. Il possède également l'haplogroupe mitochondrial L3e typique d'Afrique de l'ouest. Les trois autres (R11746, R11755 et R11790) possèdent un peu d'ascendance des steppes (entre 15 et 20%):
Le seul homme de ce groupe possède l'haplogroupe du chromosome Y: R1b typique de la culture Campaniforme. Ce résultat suggère que l'ascendance steppique présente en faible proportion à Kerkouane soit liée à la mobilité importante mise en évidence en Europe Occidentale depuis le Campaniforme et le début de l'Âge du Bronze.
Un autre groupe est composé de sept individus qui se rapprochent des individus de l'Âge du Bronze de Sicile et d'Italie centrale ainsi que des individus des colonies grecques de la péninsule Ibérique. On ne peut pas savoir si ces individus d'origine étrangère ont migré durant leur vie ou sont issus d'une migration de leurs parents. Leurs haplogroupes mitochondriaux sont HV, H et I5 et l'haplogroupe du chromosome Y des hommes de ce cluster est J2b caractéristique de Sardaigne ou du Levant.
Enfin le dernier individu (R11759) se rapproche des Mozabites actuels. Il peut être modélisé comme issu d'un mélange génétique entre les premiers fermiers du Maroc et un chasseur-cueilleur d’Éthiopie, mais aussi entre les premiers fermiers du Maroc (70%) et les fermiers d'Anatolie (30%). De manière intéressante cet individu est également proche des premiers habitants des îles Canaries. Il possède l'haplogroupe mitochondrial U6 typique d'Afrique du Nord.
Curieusement aucun de ces individus n'a de composante génétique issue du Levant.
La population de Sardaigne à l'Âge du Bronze est relativement génétiquement homogène. Les trois individus du début de l'Âge du Fer du site de Sant’Imbenia montrent une continuité génétique avec les individus de l'Âge du Bronze de Sardaigne:
Par contre, les individus plus tardifs du site punique de Villamar sont plus hétérogènes et se superposent avec l'ancienne population de Kerkouane, mais également avec les anciens individus des sites puniques de Monte Sirai en Sardaigne et d'Ibiza:
En Italie centrale, les anciens individus des cités Étrusques se séparent en plusieurs groupes. Douze d'entre eux se regroupent avec les anciens individus de l'Âge du Bronze d'Italie et représentent la population autochtone:
Cependant les autres individus montrent des origines venues de différentes régions de la Méditerranée. Ainsi un de ces individus est décalé vers les habitants d'Afrique du nord et peut être modélisé comme issu d'un mélange génétique entre une population des fermiers d'Afrique du nord (80%) et une population des steppes (20%) à l'instar de quatre anciens individus de Tarquinia précédemment publiés:
Deux individus sont proches génétiquement des populations du Levant et possèdent une forte proportion de composante issue des fermiers d'Iran. Ces résultats sont en accord avec les investigations archéologiques qui montrent dans la population Étrusque, des contacts étroits avec d'autres cultures Méditerranéennes.
En résumé, cette étude montre que sur chacune des trois régions étudiées de Méditerranée centrale, on observe une continuité génétique entre les populations de l'Âge du Bronze et de l'Âge du Fer, mais également une part de la population qui a des origines d'autres régions de la Méditerranée. Cette mobilité a contribué à la structure génétique des populations actuelles de ces régions. Ainsi la composante des fermiers du Maroc de la fin du Néolithique qui est prédominante en Afrique du Nord appairait à l'Âge du Fer en Italie centrale et dans les colonies Carthaginoises de Méditerranée centrale et occidentale comme la Sardaigne et Ibiza. Cette composante est une signature génétique de l'expansion Carthaginoise. En Italie centrale on note l'apparition d'une ascendance des fermiers d'Iran qui arrive dans la région avant l'expansion de l'empire Romain, probablement suite à l'établissement des colonies phéniciennes et grecques en Méditerranée. L'apparition de l'ascendance des steppes à l'Âge du bronze en Italie reste relativement faible, bien que partout dans la population, suggérant une diffusion graduelle sur une longue période:
Mise à jour
Ce papier a été définitivement publié en août 2023: A genetic history of continuity and mobility in the Iron Age central Mediterranean