La nécropole Néolithique de Fleury sur Orne appartient à la première manifestation funéraire monumentale d'Europe et se situe avant le phénomène mégalithique qui émerge sur la façade Atlantique. Fondée dans le second quart du 5ème millénaire av. JC., cette nécropole est composée de long tumulus de terre mesurant jusqu'à 300 m de long. Ces monuments appartiennent au phénomène de Passy du nom du site éponyme situé dans l'Yonne. Ils font partie de la culture de Cerny qui a ses origines dans l'Yonne et la haute vallée de la Seine autour de 4700 av. JC. au début du Néolithique Moyen. Ces monuments se diffusent ensuite jusqu'en Normandie où se trouve la nécropole de Fleury sur Orne. Ces monuments ont probablement été érigés pour commémorer des individus de haut statut social, qu'ils soient des hommes, des femmes ou des enfants. Parmi ces individus de haut rang une catégorie est composée d'hommes associés à des pointes de flèches identifiés comme des chasseurs. En Normandie, à côté de Fleury sur Orne on trouve trois autres nécropoles de la culture de Cerny situées sur les sites archéologiques de Rots, Blainville-sur-Orne et Cuverville situés dans un rayon de 10 km seulement. La nécropole de Fleury sur Orne est la seule de Normandie qui a été fouillée extensivement. Elle comprend 32 monuments dont un seul est encore préservé. Un total de 17 tombes ont été découvertes en tout situées le long de l'axe principal de la moitié de ces tumulus. La plupart des monuments contenait une seule tombe individuelle. Cependant deux monuments contenaient deux tombes et un troisième trois tombes. De manière intéressante une tombe double était associée à aucun des monuments visibles:

2022_Rivollat_Figure1.jpg, avr. 2022

L'analyse anthropologique des restes humains indique une majorité d'hommes. Quelques éléments diffèrent des nécropoles du bassin Parisien comme le dépôt d'offrande de moutons entiers et l'absence d'enfant. Les auteurs ont obtenu des datations radiocarbone à partir des vestiges humains. La plupart sont situées entre 4600 et 4300 av. JC. Cependant trois tombes sont datées après 4000 av. JC. Il s'agit des sépultures des monuments 24, 29 et 31. Une étude précédente de paléo-génétique avait publié le génome de quelques individus de cette nécropole. Maïté Rivollat et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Ancient DNA gives new insights into a Norman Neolithic monumental cemetery dedicated to male elites. Ils ont séquencé le génome de six nouveaux anciens individus de la nécropole de Fleury sur Orne, portant le total des génomes à 15 individus.

Les auteurs ont pu déterminer le sexe génétiquement pour 14 individus. Il y a 13 hommes et une seule femme. Les haplogroupes mitochondriaux sont J, K, T et H caractéristiques des fermiers du Néolithique, mais aussi U issus des populations de chasseurs-cueilleurs. Il y a trois individus U5b et un individu U8a1. Les hommes appartiennent aux haplogroupes du chromosome Y: H2, G2a et I2a. Les haplogroupes H2 et G2a sont caractéristiques des fermiers du Néolithique alors que l'haplogroupe I2a est issu des chasseurs-cueilleurs d'Europe:

2022_Rivollat_Figure2A.jpg, avr. 2022

Les auteurs ont ensuite réalisé une Analyse en Composantes Principales. Les anciens individus de la nécropole de Fleury sur Orne (losanges orange bordés de noir ci-dessous) sont localisés dans la variabilité des fermiers Néolithiques de France, à l'exception de deux outliers 24-5 et 29-5, datés après 4000 av. JC.:

2022_Rivollat_Figure3.jpg, avr. 2022

L'utilisation de la statistique f3 permet d'identifier un groupe de cinq individus parmi les plus anciens du site archéologique. Ces individus appartiennent aux haplgroupes H2 et G2a. Ce groupe est plus proche génétiquement des premiers fermiers de la péninsule Ibérique que de ceux d'Europe Centrale. Ce résultat est cohérent avec la présence de l'haplogroupe H2m identifié uniquement dans le Néolithique Méditerranéen. L'utilisation du logiciel qpAdm montre de plus qu'un des deux outliers (29-5) possède moins d'ascendance chasseurs-cueilleurs que les autres. Le deuxième outlier (24-5) possède une composante Iranienne non négligeable (17%) absente chez les autres individus de Fleury sur Orne. Cette composante Iranienne est présente sporadiquement dans la population Néolithique d'Europe et a du se diffuser avec l'arrivée des premiers fermiers d'Anatolie.

Les deux outliers appartiennent au groupe récent de la nécropole de Fleury sur Orne avec l'individu 31-51. Seul l'individu 29-5 a un mobilier archéologique qui diffère des autres avec la présence d'une tête d'hache polie. Ces résultats suggèrent l'arrivée d'un nouveau groupe à la fin de l'occupation de ce site archéologique. Le lien entre ce groupe et les premiers occupants du site reste peu clair. Il faut noter qu'après 4000 av. JC. la plupart des individus de France occidentale sont enterrés dans des dolmens. Ainsi ces trois individus de Fleury sur Orne représentent un contexte funéraire particulier pour la période considérée.

Les auteurs ont ensuite analysé les segment d'homozygotie. Seul un individu possède de longs segments caractéristiques d'un certain niveau de consanguinité. La recherche de liens familiaux entre individus a montré qu'il y a deux paires d'individus reliés au premier degré: 8-5/8-6 et 953A/953B. Comme ces individus n'ont pas le même haplogroupe mitochondrial on en déduit deux relations: père/fils. La paire 8-5/8-6 est enterrée dans deux sépultures différentes situées dans le même monument. Ce résultat suggère un héritage du haut statut social et caractérise un monument familial. La seconde paire: 953A/953B est enterrée dans la même sépulture double, mais n'est pas associée à un monument visible archéologiquement. Le monument a pu exister autrefois mais être totalement détruit par le labour.

L'ensemble de ces résultats suggèrent un système social patrilinéaire avec une forte exogamie féminine. Très peu d'individus de la population locale sont enterrés ici. Ils représentent l'élite dont l'héritage se fait de père en fils. La présence d'une seule femme dans cette nécropole est intéressante. Elle est associée à quatre têtes de flèche, un artefact caractéristique uniquement des hommes de la culture de Cerny. Ainsi le genre archéologique attribué à cet individu est différent de son sexe biologique, et lui a permis d'entrer dans cette nécropole à sa mort. De plus ce cimetière Normand diffère des autres nécropoles de la culture de Cerny situées dans le bassin Parisien dans lesquelles les femmes sont aussi nombreuses que les hommes.

La vidéo ci-dessous présente la nécropole Néolithique de Passy: