Le plateau Tibétain excèdant souvent l'altitude de 4000 m, est une des régions du monde les plus inhospitalière. Les Dénisoviens l'habitent depuis au moins 160.000 ans et les premières traces d'homo sapiens datent entre 40.000 et 30.000 ans. Cependant, la date d'habitats permanents de l'homme moderne dans cette région est encore largement débattue. Les premières études de paléo-génétique ont montré que les anciennes populations du plateau Tibétain depuis environ 3400 ans partagent avec les populations actuelles de la région une composante génétique unique. Elles sont également étroitement reliées avec les anciennes populations du nord-est de l'Asie situées dans les bassins du fleuve jaune et de la rivière Amour.

Hongru Wang et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Human genetic history on the Tibetan Plateau in the past 5100 years. Ils ont séquencé le génome de 97 anciens individus issus de 30 sites archéologiques répartis sur le plateau Tibétain dont l'altitude varie de 2776 à 5000 m. La datation de ces échantillons varie de 5260 à 27 ans:

2023_Wang_Figure1A.jpg, mar. 2023

Les auteurs ont recherché d'éventuelles relations familiales entre les individus. Ils ont ainsi identifié 14 familles dont les membres sont reliés au premier ou au second degré. Pour leur analyse, les auteurs ont gardé un seul membre par famille et leur ont ajouté 33 anciens individus dont le génome avait été préalablement publié, appartenant tous à l'arc Himalayen et datés entre 3440 et 1250 ans.

Les auteurs ont réalisé une Analyse en Composantes Principales pour comparer ces anciens individus à d'autres anciens individus d'autres régions et des populations actuelles. Ils se superposent ou sont proches des actuels Qiangs, Tibétains et Sherpas:

2023_Wang_Figure1D.jpg, mar. 2023

Ces résultats montrent que les anciennes populations du plateau Tibétain sont les plus proches génétiquement des populations actuelles de cette même région. La figure ci-dessus à gauche montrent les plus anciens des échantillons de cette étude datés entre 5100 et 2500 ans. Ces individus sont plus proches génétiquement des anciens individus du nord-est que du sud-est de l'Asie. Ces résultats sont confirmés par les statistiques f3 et f4, et le logiciel qpAdm. Les simulations montrent que tous les anciens Tibétains sont issus d'un mélange génétique entre une ancienne population du nord-est de 'Asie (90%) et une ancienne population non encore identifiée (10%):

2023_Wang_Figure2E.jpg, mar. 2023

Ce mélange génétique date donc d'avant 5100 ans et précède l'introduction du blé et de l'orge sur le plateau Tibétain. Les anciens individus vieux de 4200 ans du site archéologique de Lajia localisé dans la haute vallée du fleuve jaune, sont proches géographiquement du nord-est du plateau Tibétain et ont du jouer un rôle important dans le peuplement de cette région. Cependant ces anciens individus de Laija ne se regroupent pas avec les anciens Tibétains mais avec les anciens Asiatiques du nord-est, comme le montre la figure ci-dessous:

2023_Wang_Figure2A.jpg, mar. 2023

La différentiation génétique sur le plateau Tibétain entre 5100 et 2500 ans était plus importante qu'aujourd'hui. Les auteurs ont pu ainsi identifié trois groupes distincts à cette époque, qui suivent un pattern géographique: un cluster du nord-est, un cluster du sud-est et un cluster du sud/sud-ouest, ce dernier regroupant également les autres anciens individus de l'arc Himalayen.

La comparaison du plus ancien individu de cette étude du site de Zongri daté de 5100 ans et des autres anciens individus du même site archéologique (plus récent que 4700 ans) montre que ces derniers possèdent en plus une composante génétique qui est maximale chez les actuels habitants du sud-est de l'Asie (composante bordeaux ci-dessous). En fait les plus récents individus de Zongri peuvent être modélisés comme issus d'un mélange génétique entre une population proche du plus ancien individu de Zongri (entre 40 et 73%) et une population Néolithique de Mongolie centrale ou de la vallée du fleuve jaune. Ces résultats indiquent que l'arrivée du Néolithique sur le plateau Tibétain a été accompagnée par l'arrivée d'une nouvelle population qui s'est mélangée génétiquement avec la population locale. Par contre les anciens individus du site de Pukagongma situé 300 km plus à l'ouest et datés de 2800 ans, ne possèdent pas la composante Néolithique.

La rivière Yarlung Tsangpo est le cours d'eau le plus important du plateau Tibétain. Sa source se trouve à l'ouest et il s'écoule vers l'est de la préfecture de Ngari à travers les préfectures de Shigatse, Shannan et Lhasa. Cette région est la plus peuplée du plateau Tibétain aujourd'hui. Les anciens individus de cette région datés entre 3400 et 2600 ans forment une clade solide dans l'analyse phylogénétique présente dans la figure ci-dessus. L'analyse avec le logiciel ADMIXTURE montre également qu'ils sont très homogènes (composante bleue):

2023_Wang_Figure1C.jpg, mar. 2023

Cette composante ancestrale a du se diffuser dans le sud du plateau Tibétain avant 3400 ans en provenance de l'est et en remontant la rivière Yarlung Tsangpo vers l'ouest. Au sud-ouest du plateau dans la préfecture de Nagri, les plus anciens individus datent de 2300 ans et sont situés sur le site archéologique de Piyangjiweng. Ils forment une clade génétique avec les autres anciens individus du sud/sud-ouest du plateau Tibétain. Ils possèdent entre 32 et 86% de la composante bleue relative au sud du plateau Tibétain. Au sud-est du plateau sur le site de Nyingchi, les anciens individus sont très proches des anciens individus du sud du plateau, des préfectures de Shannan et Shigatse. Ils peuvent être modélisés par un mélange génétique entre une population du sud du plateau (entre 37 et 47%) et une population du sud-est du plateau:

2023_Wang_Figure4A.jpg, mar. 2023

La région sud et sud-ouest du plateau Tibétain représente son centre culturel. Les auteurs ont analysé également le génome de 31 individus de cette région datés entre 2200 et 700 ans. Ainsi les individus de Shannan et Shigatse datés entre 2200 et 1900 ans, sont les plus similaires génétiquement aux populations précédentes de la région. Ces résultats suggèrent une importante continuité génétique dans cette région entre 3400 et 1900 ans. Le résultat est identique pour les populations datées entre 1500 et 700 à part un outlier, suggérant ainsi une continuité génétique dans la région sur toute cette période. Cependant on perçoit des fluctuations dans la composition génétique de ces anciens individus. Ainsi les individus les plus récents montrent des composantes présentes dans d'autres régions du plateau suggérant des mouvements de population à travers tout le plateau:

2023_Wang_Figure4D.jpg, mar. 2023

De manière intéressante les populations actuelles du sud du plateau partagent plus d'allèles avec les anciens individus de la région datés entre 2200 et 2100 ans qu'avec les anciens individus datés entre 1100 et 700 ans. Ce résultat suggère l'influence d'une population extérieure entre 1100 et 700 ans, influence qui n'a pas persisté jusqu'à aujourd'hui. De plus les populations actuelles (voir figure ci-dessous) possèdent une forte composante issue des basses régions de l'est Asiatique qui n'existait pas dans la population datée entre 1100 et 700 ans, suggérant l'arrivée d'une nouvelle population sur le plateau durant ces 700 dernières années:

2023_Wang_Figure4E.jpg, mar. 2023

Au centre du plateau, dans la préfecture de Nagqu, les anciens individus datés avant 2500 ans, se regroupent avec les anciennes populations du sud-est du plateau (préfecture de Chamdo). Cependant, après 1600 ans, les anciens individus du centre sont plus proches génétiquement des anciens individus du sud/sud-ouest du plateau. Ces résultats suggèrent qu'entre 2500 et 1600 ans, il y a eu un remplacement important de la population du centre du plateau. Ce dernier pourrait être lié à l'extension de l'empire Tibétain du sud/sud-ouest du plateau vers le centre.

Plusieurs anciens individus du plateau Tibétain suggèrent que l'Asie Centrale a joué un rôle dans différentes régions. Ainsi à l'ouest plusieurs individus du site archéologique de Piyangjiweng datés de 2300 ans, incluent en plus d'une composante génétique typique du sud du plateau Tibétain, une composante caractéristique du site de l'Âge du Bronze de Gonur en Asie Centrale. L'analyse avec le logiciel qpAdm montre que ces individus ont entre 6 et 14% d’ascendance d'Asie Centrale. De plus un individu beaucoup plus récent du site de Gelintang toujours situé à l'ouest du plateau et daté entre 262 et 27 ans possède 14% d'ascendance d'Asie centrale. D'autre part, un autre individu issu du site archéologique de Zhangcun localisé dans le sud-ouest du plateau et daté entre 1520 et 1363 ans, est décalé sur la PCA vers le gradient des populations Indiennes. Il inclut une composante proche des fermiers du Néolithique Iranien et suggère également une influence d'Asie centrale. Enfin un autre individu du site archéologique de Longsangquduo situé au sud du plateau et daté de 900 ans partage plus d'allèles avec les individus de l'Âge du Bronze d'Asie centrale que les autres individus de la région.

Les Tibétains actuels possèdent le gène EPAS1 qui leur procure une bonne adaptation aux hautes altitudes. Ce gène leur vient d'un mélange génétique avec les Dénisoviens. Les auteurs ont recherché ce gène chez tous les anciens individus du plateau Tibétain. Il est ainsi présent chez le plus ancien d'entre eux daté de 5100 ans. Il est également présent chez 11 individus sur 17 datés entre 4800 et 3900 ans du site archéologique de Zongri.