Homo sapiens apparait en Afrique il y a environ 300.000 ans et les hommes anatomiquement modernes il y a au moins 195.000 ans. Les premières sorties d'Afrique de l'homme moderne se trouvent en Israël entre 194.000 et 177.000 ans et peut-être en Grèce il y a 210.000 ans. On suppose que le Levant a joué un rôle fondamental dans la dispersion d'Homo sapiens sur la terre, bien que les vestiges fossiles dans cette région soient distribués inégalement. Des restes d'hommes modernes sont retrouvés en Asie de l'est il y a 80.000 ans et l'archéologie indique qu'ils ont atteint l'Australie il y a 65.000 ans. Cependant en Europe les premières traces de l'homme moderne apparaissent seulement entre 45.000 et 43.000 ans en Italie et en Bulgarie. Sur ce continent Néandertal disparait autour de 40.000 ans. Un peu avant cette date, apparaissent, à la suite du Moustérien, les cultures de transition comme l'Uluzzien, le Châtelperronien ou le Bohunicien dont l'identité taxonomique de l'artisan reste intensément débattue. Ces cultures laissent ensuite la place au proto-Aurignacien et à l'Aurignacien associés à l'homme moderne. Les enregistrements archéologiques montrent systématiquement que les vestiges proto-Aurignaciens ou Aurignaciens sont découverts dans la stratigraphie, toujours dans les couches situées au-dessus des couches Néandertales, rendant impossible de montrer que Néandertal et Homo sapiens se soient rencontrés en Europe.

Ludovic Slimak et ses collègues ont publié l'année dernière un papier intitulé: Modern human incursion into Neanderthal territories 54,000 years ago at Mandrin, France. Ils ont découvert des traces de Néandertal et d'Homo sapiens dans la grotte Mandrin.

La grotte Mandrin est située à côté de la ville de Malataverne, sur la rive orientale du Rhône, à une altitude de 225 m. Les fouilles ont commencé sur ce site en 1990:

2022_Simak_Figure1.png, déc. 2023

La séquence stratigraphie de 3 m d'épaisseur comprend 12 couches entre le Paléolithique Moyen et le Paléolithique Supérieur. Elle est particulièrement bien préservée et datée directement par de nombreux artefacts. Les site a fournit environ 60.000 pièces lithiques et 70.000 restes animaux dont principalement du cheval, du bison et du cerf. De manière intéressante, la couche E contient une industrie remarquable caractérisée par de petites pointes standardisées dont certaines ne mesurent pas plus de 1 cm de longueur. Ces pointes représentent une différence technologique substantielle par rapport aux couches Moustériennes Néandertales de la grotte Mandrin. Cette industrie a été appelée le Néronien en référence à la même industrie lithique retrouvée dans quelques sites voisins, notamment à la grotte de Néron. Jusqu'à maintenant l'industrie Néronienne n'a été découverte dans aucun autre site archéologique et ses artisans n'ont pas été identifiés:

2022_Simak_Figure2.png, déc. 2023

Dans la grotte Mandrin les restes humains consistent en neuf dents représentant au minimum sept individus différents. Des analyses d'ADN ancien ont été tentées sur des restes de chevaux de la grotte Mandrin. Cependant la pauvre préservation de l'ADN sur ces échantillons ont poussé les auteurs a ne pas tenter des analyses ADN sur les restes humains. Les auteurs ont alors investigué la structure morphologique de ces dents humaines afin d'essayer de déterminer si elles appartiennent à Néandertal ou à l'homme moderne:

2022_Simak_Figure5.png, déc. 2023

Ainsi la combinaison de l'étude de caractéristiques dentaires métriques et non métriques a permis de déterminer sans aucun doute que les dents des couches G, F, D et C appartiennent à Néandertal et que la dent de la couche E appartient à l'homme moderne. Ainsi, à la grotte Mandrin, les fouilles montrent que Néandertal et l'homme moderne se sont remplacés l'un l'autre à plusieurs reprises:

2022_Simak_Figure6.png, déc. 2023

La datation de la stratigraphie a été réalisée à partir de nombreuses mesures radiocarbones AMS. Notamment la couche E contenant les vestiges de l'homme moderne est datée entre 56.800 et 51.700 ans:

2022_Simak_Figure8.png, déc. 2023

L'industrie lithique Néronienne de la couche E montre une forte similarité avec une industrie présente dans la grotte Ksar Akil au Liban, associée au Paléolithique supérieur initial (IUP) et datée entre 45.000 et 39.000 ans. La comparaison statistique de la forme des pointes dans les deux sites ne montre pas de différence significative. Des restes appartenant à l'homme moderne ont également été retrouvés dans les couches de cette industrie à Ksar Akil. La similarité entre l'industrie IUP de Ksar Akil et celle de la couche de la grotte Mandrin suggère que des hommes modernes se sont dispersés en Europe depuis le Proche-Orient 12.000 ans plus tôt que ce que l'on pensait jusqu'ici.