L'attribution récente du Néronien à Homo sapiens il y a environ 54.000 ans à la grotte Mandrin, non seulement repousse l'arrivée des hommes modernes en Europe de plus de 10.000 ans, mais également suggère des interactions entre Néandertal et Homo sapiens dans une région spécifique. A Mandrin, une seule année au maximum sépare le départ de Néandertal et l'arrivée de l'homme moderne permettant d'appréhender d’éventuelles interactions entre ces deux humanités. D'autre part les correspondances entre le Néronien et le Paléolithique Supérieur Initial du Proche-Orient questionne la validité de concepts qui définissent les premières migrations d'hommes modernes en Europe.
Ludovic Slimak vient de publier un papier intitulé: The three waves: Rethinking the structure of the first Upper Paleolithic in Western Eurasia. Il discute la structure des connexions qu'il est désormais possible d'établir entre les rives de la Méditerranée orientale et occidentale et souligne les connexions technologiques inattendues et la remarquable homogénéité culturelle des sociétés d'Homo sapiens lors de leur colonisation en Europe, ce qui semble désormais indiquer l'existence de trois vagues distinctes de migration vers le continent Européen.
La séquence stratigraphique du site archéologique de Ksar Akil au Liban occupe une place clé dans la compréhension des sociétés paléolithiques de la Méditerranée orientale. Cette grotte est située 10 km au nord est de Beyrouth et domine la plaine côtière depuis les contreforts du mont Liban. Les fouilles archéologiques ont révélé 22,6 m de dépôts datés entre le Paléolithique Moyen et L'Épipaléolithique. Ce site constitue une des stratigraphies les plus complètes concernant la transition entre le Paléolithique Moyen et le Paléolithique Supérieur. Les fouilles archéologiques conduites par Ewing ont eu lieu en 1937/1938 et 1947/1948, puis celles conduites par Tixier entre 1969 et 1975. La stratigraphie complète est divisée en 36 couches archéologiques. Les couches 36 à 26 correspondent au Paléolithique Moyen, les couches 25 à 21 correspondent au Paléolithique Supérieur Initial et les couches 20 à 16 correspondent au début du Paléolithique Supérieur. Des correspondances ont déjà été faites entre les enregistrements Levantins et Européens. Ainsi, l'Aurignacien correspond aux couches 9 et 10 de Ksar Akil.
L'étude de la stratigraphie de Ksar Akil montre un changement abrupt entre les couches 26 à 24 correspondant à la transition entre le Paléolithique Moyen et le Paléolithique Supérieur. Ensuite les couches du Paléolithique Supérieur montrent clairement trois phases distinctes de développement:
- une première phase de pointes Levallois unipolaires
- une deuxième phase de pointes à bord abattu provenant principalement de débitages laminaires bipolaires
- une troisième phase de lamelles aiguës rectilignes issues de débitages convergents unipolaires
Le Proto-Aurignacien Européen correspond ici à la troisième phase du site de Ksar Akil et aux couches 13 et celles situées au-dessus. Le Néronien de la grotte Mandrin correspond à la première phase du site de Ksar Akil et aux couches 25 à 21. La figure ci-dessous montre qu'aucune distinction ne peut être faite entre ces deux industries situées aux deux extrémités de la Méditerranée:
L'analyse de la seconde phase du site de Ksar Akil montre un nombre important de points techniquement et typologiquement indiscernables de ceux du Châtelperronien attesté en France et dans le nord-est de l'Espagne. Certains chercheurs attribuent le Châtelperronien aux derniers Néandertaliens d'Europe qui se seraient acculturés au contact des premiers Hommes modernes arrivés en Europe. L'attribution du Châtelperronien aux Néandertaliens n'est toutefois pas complètement assurée, du fait de la rareté et de l'ambigüité stratigraphique des restes humains fossiles liés à la culture matérielle du Châtelperronien. Dans cette étude, sa similarité avec la seconde phase de Ksar Akil indique cependant à l'auteur que cette industrie est liée à Homo sapiens et non à Néandertal.
En résumé, l'auteur de cette étude propose d'associer les trois phases de la stratigraphie du site archéologique de Ksar Akil au Liban associées à l'homme moderne, au Néronien, au Châtelperronien et au Proto-Aurignacien. En Europe, ces trois phases sont distribuées géographiquement de manière différente. La première phase semble localisée uniquement dans la vallée du Rhône pour le Néronien mais aussi en Europe de l'est entre la république Tchèque et l'Ukraine pour le Bohunicien et le Kréménicien. La seconde phase se retrouve en France et dans le nord-est de l'Espagne. Seule la dernière phase se retrouve dans toute l'Europe. Il semble que les Néroniens de la vallée du Rhône n'aient pas laissé de descendants. Ce groupe est resté environ quarante ans dans la grotte Mandrin. Il a laissé une dent appartenant à un enfant suggérant que ce groupe était composé d'hommes, de femmes et d'enfants. Il est fort probable que ce groupe a eu des contacts avec les Néandertaliens avoisinants. Le Châtelperronien semble correspondre à une seconde vague migratoire d'Homo sapiens en Europe autour de 45.000 ans, depuis le Levant. Pendant cette seconde phase, la vallée du Rhône est habitée par Néandertal. Une étude récente a montré que ce groupe Néandertalien est relié génétiquement aux Néandertals de Gibraltar. Enfin la troisième vague migratoire d'Homo sapiens en Europe correspond au Proto-Aurignacien et est distribuée sur toute l'Europe. Elle marque véritablement les débuts de l’installation pérenne d'Homo sapiens sur le continent Européen. Elle marque également la disparition de Néandertal: