Au second siècle de notre ère, l'empire Romain s'étend de la Mésopotamie et l'Arabie à l'est jusqu'à la Grande Bretagne à l'ouest, et des rives du Rhin au nord jusqu'au Sahara au sud. Il a stimulé le mouvement de populations volontairement ou non. Les Balkans ont toujours été un carrefour historique. Entre le premier et le sixième siècle de notre ère, les frontières de l'empire Romain dans le bassin moyen de la vallée du Danube, situées dans l'actuelle Serbie et Croatie, étaient une zone de défense contre les populations vivant au nord. Cette région a été urbanisée et Romanisée. Entre 268 et 610, plus de la moitié des empereurs Romains était originaires de cette région. A la fin de l'antiquité cette région a subi de nombreuses invasions: Goths, Huns, Gépides, Avars, Hérules, Lombards et Slaves. La fin de l'hégémonie impériale Romaine coïncida avec l'arrivée de ces derniers qui étaient suffisamment nombreux pour marquer de façon durable la culture des Balkans.
Iñigo Olalde et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: A genetic history of the Balkans from Roman frontier to Slavic migrations. Ils ont analysé le génome de 136 anciens individus issus de vingt sites archéologiques des actuelles Croatie et Serbie dont Viminacium la capitale de la province Romaine de Mésie, située à la confluence du Danube et de la rivière Mlava (symboles rouges ci-dessous), et six d'Autriche, de République Tchèque et de Slovaquie datés pour la très grosse majorité entre l'an zéro et l'an mille:
Les auteurs ont effectué une Analyse en Composantes principales pour comparer l'ensemble de ces anciens génomes avec d'autres préalablement publiés et des génomes d'individus contemporains. La figure ci-dessous montre deux gradients horizontaux qui s'étalent le long de la première composante: le gradient des populations des Balkans de l'Âge du Bronze et de l'Âge du Fer (zones violettes ci-dessous) et le gradient des populations actuelles des Balkans (zone jaune ci-dessous mise en valeur dans la figure D du quart supérieur droit de la figure ci-dessous):
Ces résultats suggèrent une certaine forme de continuité dans les Balkans entre l'Âge du Fer et maintenant, mais montrent également l'impact d'un flux de gènes important sur toute la région qui a décalé tous les génomes vers le haut durant les 2000 dernières années. Les échantillons du premier millénaire de cette étude montrent une plus grande hétérogénéité dans la figure ci-dessus que la population de l'Âge du Fer, liée à des mouvements de population sur de longues distances.
La moitié des anciens individus datés entre 0 et 250 sont issus uniquement des groupes des Balkans de l'Âge du Fer. La moitié des hommes de ce groupe appartiennent à l'haplogroupe du chromosome Y: E1b-V13. Ce sont des descendants des groupes locaux de l'Âge du Fer qui se sont parfaitement intégrés dans la société Romaine. Malgré le grand nombre de colonies Romaines dans les Balkans aucun homme de cette période appartient à l'haplogroupe du chromosome Y: R1b-U152 qui est le plus fréquent dans la péninsule Italienne à l'Âge du Bronze et à l'Âge du Fer. Ainsi très peu de Romains sont venus s'installer dans les Balkans à l'apogée de l'empire. Cependant un tiers de ces individus sont positionnés dans la PCA, en dehors des gradients décrits ci-dessus. Ils se situent proches des populations Proche-Orientales: population Byzantine, de l'ouest de l'Anatolie ou du Levant. La plupart de ces individus viennent d'une des nécropoles de Viminacium. Les études précédentes ont également montré un décalage des populations Romaines de Rome et d'Italie, vers les populations Proche-Orientales à la même époque. Ainsi l’influence de ces populations Proche-Orientales se fait jour non seulement dans la capitale de l'empire Romain, mais aussi dans les principales villes de l'empire. Si le sexe des individus d'origine locale de cette période est bien équilibré (onze hommes et onze femmes), il n'en va pas de même pour les populations d'origine Proche-Orientale puisque il y a seulement deux femmes pour dix hommes. Ces individus d'origine Proche-Orientale se retrouvent dans les mêmes nécropoles que les individus d'origine locale. Il n' y a pas de ségrégation en fonction de l'origine. Trois individus d'origine Proche-Orientale de la nécropole de Rit à Viminacium, sont enterrés dans un sarcophage de pierre avec un riche mobilier archéologique suggérant pour ces trois personnes un haut statut social. La source Proche-Orientale dans les Balkans se tarit après l'an 300. Cependant au début du Moyen-Âge l'ascendance Proche-Orientale représente en moyenne 23% dans la population des Balkans.
Cette étude rapporte également quelques mouvement de personnes sur de longues distances. En effet trois hommes datés des 2d et 3ème siècles sont décalés sur la PCA vers les populations Africaines. Ainsi deux individus ont respectivement 33% et 100% d'ascendance nord Africaine et le troisième a 100% d'ascendance est Africaine avec des haplogroupes mitochondriaux L2a1j et du chromosome Y: E1b-V32, les deux communs aujourd'hui en Afrique de l'est. Cet individu a été enterré avec une lampe à huile représentant l'iconographie de l'aigle liée à Jupiter. Les analyses isotopiques sur cet individu montre également qu'il venait d'une région étrangère et qu'il avait une diète différente des autres individus de la même nécropole.
Aux 3ème et 4ème siècles les résultats montrent que des individus originaires du centre et du nord de l'Europe et d'autres originaires des steppes arrivent dans les Balkans. Les auteurs ont retrouvé ces deux sources exogènes dans les mêmes individus suggérant que le mélange génétique s'est fait en dehors des Balkans, bien qu'il y ait quelques exceptions comme deux individus contemporains de la nécropole de Pecine à Viminacium qui possèdent respectivement 36% et 50% d'ascendance des steppes, sans aucune contribution d'Europe centrale ou du nord. Les individus portant ces deux ascendances sont situés dans les mêmes nécropoles comme Pecine et Vise Grobalja à Viminacium. De manière intéressante, la plupart des hommes d'origine 100% locale ont pour haplogroupe du chromosome Y: I1, R1b-U106 ou R1a-Z93, communs pour les deux premiers dans le nord de l'Europe et pour le troisième dans les steppes. Ces résultats suggèrent une organisation sociale patrilocale qui résulte dans la persistance des lignages des hommes venus de l'extérieur à cause de la sélection sociale à l’œuvre dans la reproduction de ces populations. Ces résultats reflètent la rencontre des Romains avec diverses populations transfrontalières comme les Goths. Certains de ces individus ont intégré la société Romaine bien avant la chute du contrôle Romain sur la région. Cela confirme l'importance de processus tels que la migration, le recrutement et l’installation dans l’histoire démographique des Balkans à la fin de l'antiquité. De manière surprenante, les ascendances nord et centre Européenne et des steppes disparaissent complètement après l'an 700.
Après 700, une nouvelle ascendance apparait dans les Balkans. Ces niveaux individus se situent sur la PCA au même endroit que les individus de la période précédente d'ascendance nord et centre Européenne ou des steppes. Cependant on distingue un décalage après 700 des populations des Balkans vers les populations actuelles Slaves d'Europe de l'est. Ce résultat est largement confirmé par l'emploi de la statistique f4. Cependant, ce décalage vers les populations est Européennes apparait sporadiquement dans les périodes antérieures. Ainsi une femme décédée au 2d ou 3ème siècle de la nécropole de Vise Grobalja présente une ascendance 100% est Européenne. Dans cette étude la très grosse majorité des individus avec une ascendance est Européenne sont datés entre le 7ème et le 10ème siècle. Les migrations Slaves ont débuté dès le 6ème siècle, mais cette migration précoce n'apparait pas dans cette étude. Sur les sept individus des Balkans possédant plus de 90% d'ascendance est Européenne et qui représentent des migrants de première génération, il y a trois femmes. De manière intéressante, sur le site fortifié de Brekinjova Kosa en Croatie deux individus datés entre 770 et 890, sont enterrés dans la même tombe. Le plus jeune a 97% d'ascendance est Européenne, alors que le plus âgé est 100% d'ascendance locale. Ce résultat donne une indication de l'intégration de la nouvelle population Slave dans la société des Balkans. D'autre part, sur le site de Dvorac en Croatie une femme avec 90% d’ascendance Slave a un fils avec seulement 64% de cette ascendance, ce qui suggère l'intégration de cette femme Slave dans la société des Balkans. Les populations actuelles de Serbie, Croatie, Bulgarie et Roumanie possèdent entre 50 et 60% d’ascendance est Européenne suggérant une forte persistance de cette composante dans la population des Balkans. Cette proportion décroit cependant dans les populations actuelles de la région Égéenne située plus au sud.
Histoire génétique des Balkans entre l'empire Romain et les migrations Slaves
samedi 23 décembre 2023. Lien permanent ADN ancien