La culture d'Únětice du début de l'Âge du Bronze est datée en Allemagne centrale entre 2200 et 1550 av. JC. Elle est caractérisée par des changements significatifs dans l'économie et la stratification sociale qui ont conduit à l'émergence de chefferies. La distribution géographique de la culture d'Únětice s'étend de l'Autriche et la Slovaquie au sud-est au massif montagneux du Harz en Allemagne centrale. La découverte de tombes richement fournies et d'autres sans mobilier archéologique suggère l'existence d'une importante stratification sociale dans cette culture. Ainsi des artefacts en or ont été trouvés dans des sépultures de Leubingen, Helmsdorf et Bornhöck. La stratification sociale a été déjà suggérée dans les sociétés précédentes de la fin du Néolithique dans cette région, notamment dans la culture campaniforme avec sa riche sépulture d'Apfelstädt. Avant l'émergence de la culture d'Únětice, les archéologues ont mis en évidence la co-existence des deux cultures cordée et campaniforme dans la région des monts Harz pendant au moins 300 ans. Les récentes études de paléo-génétique ont montré que les populations de ces deux cultures se sont mélangées génétiquement pendant cette période avant de donner naissance à la culture d'Únětice. Le mobilier archéologique des sépultures de la culture d'Únětice montent qu'elles ont hérité d'objets issus des deux cultures précédentes.
Leubingen est localisé dans le bassin de Thuringe, au sud du massif montagneux de Harz. Il y avait une forte densité d'habitats dans cette région durant le début de l'Âge du Bronze. Les cimetières sont situés à proximité du tumulus de prince de Leubingen, qui est la plus ancienne tombe princière de la culture d'Únětice. Un homme a été enterré dans une chambre en bois accompagné d'un mobilier extraordinaire: une céramique, une hache massive en pierre, une pierre de martelage pour la métallurgie, trois ciseaux, deux haches, trois poignards, une hallebarde en cuivre/bronze, un bracelet, deux épingles, deux anneaux et une petite spirale en or. Malheureusement les restes humains de cet individu ont été perdu depuis sa découverte en 1877, et cela empêche toute étude de bio-archéologie sur cet individu. Deux cimetières datés de la culture d'Únětice, ont été découverts à proximité de ce tumulus: le premier est situé 800 m au sud-ouest et le second 2,5 km au nord-est:
A part le tumulus princier, le mobilier archéologique est rare dans les sépultures des cimetières de Leubingen. Sandra Penske et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Kinship practices at the early bronze age site of Leubingen in Central Germany. Ils ont analysé le mobilier archéologique, fait des études anthropologiques sur les restes humains, analysé le génome et les isotopes de 46 individus issus des deux cimetières de Leubingen.
Les auteurs ont ainsi mis en évidence 41 relations au premier degré. Ils ont reconstruit la généalogie de quatre familles dans le cimetière Leubingen I, et la généalogie d'une famille dans le cimetière Leubingen II:
De plus, l'analyse des segments identiques par descentes de 35 individus a mis en évidence des relations jusqu'au cinquième degré et a ainsi confirmé la reconstruction des différentes généalogies:
La première famille (en rouge ci-dessus) consiste en un couple et ses cinq enfants: trois garçons et deux filles. Parmi ces enfants, un seul a atteint l'âge adulte. Il s'agit de la femme 2039. Les analyses isotopiques du strontium montrent que tous les individus de cette famille ont grandi localement à Leubingen. La seconde famille (en vert ci-dessus) comprend huit individus sur quatre générations. Ils sont tous connectés via la lignée paternelle. Les femmes de cette familles ont pour seule relation familiale, leurs enfants. Elles ne sont connectées à aucun autre individu, suggérant qu'elles venaient de l'extérieur. Les deux enfants de la dernière génération sont décédés avant l'âge adulte. Les analyses isotopiques du strontium montrent que tous les individus de cette famille ont grandi localement à Leubingen. La troisième famille (en bleu ci-dessus) comprend dix individus sur quatre générations. Ils sont également tous reliés entre eux via la lignée paternelle. Cette famille montre qu'à la deuxième et à la troisième génération on trouve des demi-frères et des demi-sœurs, leurs pères ayant eu deux conjointes. Là aussi, les femmes 2033 et 2223 ne sont reliées biologiquement qu'à leurs enfants et sont probablement venues de l'extérieur. Ces résultats sont confirmés par l'analyse isotopique du strontium qui montre que ces deux femmes ont des valeurs non locales. La troisième femme de cette famille est morte avant l'âge adulte entre 11 et 13 ans. La quatrième famille (en orange ci-dessus) est constituée uniquement d'un père et sa fille décédée entre 4 et 5 ans. Ils ont tous les deux, des valeurs isotopiques du strontium locales. La dernière famille (en rose ci-dessus) issue du second cimetière comprend quatre individus. Il y a deux topologie possible pour sa généalogie. Soit l'individu 81 est la nièce des deux individus 142 et 201-1 qui sont frère et sœur (généalogie de gauche), soit elle est leur tante (généalogie de droite). Cette famille est la seule qui montre un lien maternel via l’individu 142. Tous ces individus ont grandi localement d'après les analyses isotopiques du strontium.
Dans ces cinq familles, huit femmes et six hommes sont manquants et leur ADN n'a pas été analysé. Tous ces individus manquants sont un conjoint d'une union et ont des enfants. De plus quatre des six hommes manquants sont un frère d'un autre individu. Seul le père de l'individu 203 de la cinquième famille, n'est relié a aucun autre individu. A l'opposé, toutes les femmes manquantes sont seulement les mères de leurs enfants Elles n'ont aucune autre relation de famille. Elles ne sont sœur de personne. Parmi les individus de ces cinq familles, il y a bien moins de femmes que d'hommes. Ainsi parmi les enfants on observe 17 fils et seulement 6 filles. Ces résultats suggèrent que les filles qui ont atteint l'âge adulte ont quitté cette communauté et ont été enterrées ailleurs. Si sur l'ensemble des deux cimetières le nombre de femmes (29) et d'hommes (31) est équilibré, il y a beaucoup plus de fils adultes (8) que de femmes adultes (1). Ce déséquilibre est contrebalancé par le plus grand nombre de femmes sans aucune relation familiale. Tous ces résultats suggèrent une exogamie féminine dans cette société du début de l'Âge du Bronze en Allemagne, comme on a pu le voir sur d'autres sites archéologiques. Les femmes quittent l'habitat pour aller se marier sur un autre site, alors que les hommes se marient et restent dans leur habitat d'origine.
Parmi tous ces individus, treize n'ont aucune relation familiale: neuf femmes et quatre hommes. Parmi ces quatre hommes il y a deux enfants et deux adolescents. A l'inverse huit des neuf femmes sont des adultes, dont quatre ont des valeurs des isotopes du strontium qui montrent qu'elles viennent d'ailleurs. Il est possible que ces femmes soient les conjointes d'hommes de la communauté dont on n'a pas retrouvé d'enfants. Deux femmes sans relation familiale (2224 et 2242) ont été retrouvées avec un riche mobilier funéraire, par rapport aux autres individus des deux cimetières de Leubingen, suggérant qu'elles avaient un rôle prééminent dans cette communauté.
Relations familiales dans un site du début de l'Âge du Bronze en Allemagne
jeudi 22 février 2024. Lien permanent ADN ancien