La diffusion de l'ascendance des steppes il y a environ 5000 ans est supposée être à l'origine de la diffusion des langues Indo-européennes. Dans le nord de l'Europe, les langues germaniques constituent une composante importante du paysage linguistique avec les langues balto-slaves et Finno-ougriennes. Dans cette région, la culture Cordée incluant les cultures des haches de combats et des sépultures individuelles, et la culture campaniforme ont été supposées être le vecteur de l'introduction des langues germaniques. Cependant un délai important de deux ou trois millénaires existe entre ces premières cultures et les premiers écrits runiques de langue germanique datés des premiers siècles de notre ère. Ainsi on ne peut exclure que des changements démographiques inconnus soient à l'origine du paysage linguistique actuel de l'Europe du nord. Durant la fin du Néolithique et l'Âge du Bronze, on ne connait rien de la distribution géographique des ancêtres des populations germaniques. Cependant, des emprunts aux langues celtiques et finno-ougriennes sont supposés avoir été faits à la fin de l'Âge du Bronze suggérant la localisation de ces populations à cette époque.
L'Âge du Fer de l'Europe du nord (entre 2800 et 1575 ans) et la période des grandes invasions (entre 1575 et 1200 ans) sont caractérisés par une série d'événements importants comme la démocratisation de l'utilisation des métaux, l'avènement et la chute de l'empire Romain, et les grandes invasions. Ces événements sont associés à des changements linguistiques importants qui ont abouti au paysage linguistique actuel de l'Europe. On suppose que des populations parlant une langue proto-germanique ont vécu dans le sud de la Scandinavie et le nord de l'Allemagne durant l'Âge du Fer et la culture de Jastorf. A la fin de cette période, ce langage s'est scindé en trois: le germanique de l'est, le germanique du nord et le germanique de l'ouest. Ce processus a coïncidé avec la chute de l'empire romain d'occident et des phases d'expansion de ces langues vers le sud avec les grandes invasions.
Les germaniques de l'est sont représentés principalement par les Goths, acteurs principaux de la fin de l'antiquité. Ils se sont installés en Europe du sud-est il y a 1850 ans. A la suite de l'invasion des Huns, ils sont entrés sur le territoire de l'ancien empire Romain, établissant deux royaumes, le premier en Italie et le second en France et dans la péninsule Ibérique. Les germaniques de l'ouest sont représentés par les Lombards et les Anglo-saxons. Les Lombards sont originaires du sud du Danemark et du nord de l'Allemagne. Ils ont migré vers le sud en Tchéquie, Hongrie et Italie où ils sont arrivés il y a 1350 ans. Les Anglo-saxons ont migré vers l'ouest dans les îles Britanniques où ils ont remplacé les langues celtiques. Les premières études de paléo-génétique ont montré que les Goths, les Lombards et les Anglo-saxons avaient une proportion d'ascendance Scandinave dans leurs gènes. Il y a cependant des débats importants concernant la proportion des mouvements de populations associés aux grandes invasions. Les germaniques du nord sont associés aux populations Scandinaves dont les Vikings. Leurs langues sont bien documentées par les runes.
Hugh McColl et ses collègues viennent de publier en pre-print un papier intitulé: Steppe Ancestry in western Eurasia and the spread of the Germanic Languages. Ils ont séquencé 710 anciens génomes issus de populations de l'ouest de l'Eurasie, avec un focus particulier sur l'Âge du Fer du nord de l'Europe et des régions celtiques voisines. Ces données ont été associées à des génomes préalablement publiés. Après filtrage des génomes de mauvaise qualité, la base de données utilisée dans cette étude comprend 578 nouveaux génomes et 3939 génomes déjà publiés:
Les auteurs ont réalisé une analyse de clustering IBD (identité par descente) afin de relier ces anciens individus entre eux. Ils ont identifié quatre groupes issus de cultures archéologiques reliées aux quatre cultures ancestrales: les Yamnayas, les Cordés du nord, les Cordés de l'est et les Campaniformes. De manière intéressante, les individus du même groupe sont localisés proches les uns des autres sur une Analyse en Composantes Principales:
Un modèle de mélange IBD permet de mettre en évidence pour chaque individu, les proportions d'ascendance sur différents gradients: Yamnaya/fermiers d'Anatolie, fermiers d'Anatolie/chasseurs-cueilleurs de l'ouest et chasseurs-cueilleurs de l'ouest/chasseurs-cueilleurs de l'est:
Les auteurs ont affiné ces gradients. Ils ont ainsi mis en évidence, pour les individus reliés à la culture Cordée, un gradient entre une ascendance Yamnaya et une ascendance issue des fermiers de la culture des Amphores Globulaires (figure B ci-dessous). Cette dernière ascendance vient d'un mélange génétique qui s'est produit avant l'entrée de l'ascendance des steppes en Europe. Pour les individus reliés à la culture Campaniforme on voit un second gradient entre une population Campaniforme et un ajout supplémentaire d'ascendance issue des fermiers d'Europe (figure C ci-dessous):
A partir de la diversité des individus reliés aux cultures Cordée et Campaniforme, les auteurs ont mis en évidence deux gradient supplémentaires: s'étendant vers le cluster de l'Âge du Bronze du Levant (Figure F ci-dessus). Parmi ces cultures reliées à la culture Campaniforme, on trouve les cultures celtiques de Hallstatt et de la Tène situées entre la France et la mer Noire. Le gradient lié à la culture Cordée relie des individus du nord-est et du sud-est de l'Europe. Ces deux gradients ont une source orientale commune d'ascendance fermier d'Anatolie: les individus du Levant de l'Âge du Bronze. A l'autre bout du gradient, dans la région Baltique, on trouve des individus qui possède une part supplémentaire d'ascendance issue des chasseurs-cueilleurs de l'est.
La plupart des individus du sud de l'Europe possèdent davantage d'ascendance issue des fermiers du Néolithique. La source steppique de ces individus vient de la culture Campaniforme. A la fin de l'âge du Bronze, l'ascendance des steppes des différentes populations Européennes est issue soit de la culture Cordée du nord, soit de la culture Campaniforme. La frontière entre ces ascendances Cordée et Campaniforme reste relativement stable durant tout l'Âge du Fer. Elle est ensuite décalée vers le sud et vers l'ouest à l'époque des grandes invasions:
Les auteurs ont ensuite essayé de découvrir si des migrations ont eu lieu en Europe du nord durant l'Âge du bronze. Pour cela ils ont refait une analyse de clustering à partir de tous les individus plus vieux que 2800 ans, pour s'affranchir des mouvements de populations plus récents. A l'intérieur de la Scandinavie, ils ont identifié trois groupes:
- un groupe ancien correspondant à la vieille culture des haches de combat de Suède, à quelques individus du Danemark et presque tous les individus de Norvège
- un groupe plus récent de Scandinavie du sud restreint au Danemark et à la pointe sud de la Suède
- un autre groupe récent de Scandinavie de l'est qui s'étend principalement en Suède
Pour la plupart des anciens individus, il y a une correspondance quasi parfaite entre ces groupes et les haplogroupes du chromosome Y: R1a-Z284 pour le premier groupe, R1b-U106 pour le second groupe et I1-DF29 pour le troisième groupe:
De manière intéressante, les individus du groupe de Scandinavie de l'est possèdent une proportion d'ascendance des chasseurs cueilleurs de l'est plus élevée que les individus des deux autres groupes. Cette ascendance EHG vient principalement des chasseurs-cueilleurs de la Baltique et non de chasseurs-cueilleurs locaux. A l'inverse, les individus des deux autres groupes possèdent davantage d'ascendance des chasseurs-cueilleurs de l'ouest. Ces résultats suggèrent l'arrivée d'une population venue de la Baltique en Scandinavie durant l'Âge du Bronze. Ensuite à l'Âge du Fer, ces trois groupes vont se mélanger pour former quatre groupes géographiques (Suède, Norvège, Danemark continental, îles du Danemark) qui possèdent au moins 50% d'ascendance issu du groupe de l'est de l'Âge du bronze identifié ci-dessus:
Durant l'Âge du bronze, il y a un certain nombre d'individus de Norvège et du Danemark qui possèdent un mélange d'ascendances issues des chasseurs-cueilleurs locaux et de la Baltique. Ainsi à l'Âge du Fer, les individus de la péninsule du Jutland au Danemark ont un profil génétique similaire aux individus de l'Âge du Bronze qui avaient déjà ce mélange génétique. A l'inverse, dans les îles du Danemark et en Norvège, les individus de l'Âge du Fer possèdent un surplus d'ascendance issue des chasseurs-cueilleurs de la Baltique, suggérant plusieurs vagues de migrations ou un flux continuel venu de la région Baltique. Les auteurs ont utilisé le logiciel DATES pour dater ces événements de mélange génétique. Les résultats donnent une valeur comprise entre 3750 et 3250 ans, peu de temps après la première détection de cette ascendance de Scandinavie de l'est, dans les autres régions de Scandinavie.
Durant l'Âge du Fer les individus du Jutland appartiennent au groupe Scandinave sud et peuvent être modélisés en moyenne par un mélange génétique de 55% du groupe de l'Âge du Bronze du sud de la Scandinavie et 45% du groupe de l'Âge du Bronze de l'est de la Scandinavie. Dans les îles du Danemark ces proportions sont respectivement de 20 et 80%. Enfin en Suède les individus de l'Âge du Fer ont le même profil génétique que les individus de l'Âge du Bronze.
La période située entre 2800 et 1575 ans correspond également à l'époque des grandes invasions germaniques vers le sud. De manière intéressante les migrations vers l'ouest (Allemagne, Pays-Bas et Grande-Bretagne) viennent de la péninsule du Jutland. Plus à l'est (Pologne, Lituanie, Lettonie, Estonie et Finlande) les populations actuelles sont issues principalement d'un mélange génétique entre une ascendance de l'Âge du Bronze de la Baltique et une ascendance de l'Âge du Bronze de l'est de la Scandinavie. La migration Anglo-saxonne dans les îles Britanniques semble venir du nord de l'Allemagne, une région dont les anciens individus possédaient l'haplogroupe du chromosome Y: R1b, correspondant à un groupe de Scandinavie du sud durant l'Âge du Fer. La migration des Lombards en Tchéquie, Hongrie et Italie est issue d'un groupe de l'Âge du Fer du sud de la Scandinavie. Les anciens Ostrogoth d'Ukraine ou Visigoths de la péninsule Ibérique analysés jusqu'ici on un profil génétique local. Cependant deux exceptions de la péninsule Ibérique on un profil génétique similaire aux anciens individus de la région Baltique appartenant à un gradient Baltique du nord-est/Baltique du sud-est. Ce gradient inclut également des populations à l'origine de la migration Slave.
2 réactions
1 De Pascal77300 - 17/03/2024, 19:40
Bonjour Bernard,
D'après ce papier, si j'ai bien compris, le mystère des origines de l'haplogroupe Y- I1 (présence massive dans l'actuelle Scandinavie mais absence à l'âge du bronze) se trouverait dissipé.
Des infiltrations progressives de chasseurs-cueilleurs vers la péninsule à partir de la Baltique au début de l'âge du fer ?
Merci
2 De Bernard - 18/03/2024, 08:41
Bonjour Pascal,
D'après ce papier, l'origine de l'haplogroupe I1 est lié à une migration de la région Baltique vers la Scandinavie de l'est à l'Âge du Bronze. Durant l'Âge du Fer, il y a un mélange génétique en Scandinavie et donc l'arrivée de l'haplogroupe I1 dans toute la Scandinavie.