Entre 3300 et 1500 av. JC., la population du complexe archéologique Yamnaya et ses descendants se sont diffusés en Eurasie en différentes vagues de migration, contribuant à l'ascendance génétique des populations Européennes, d'Asie Centrale et du Sud, de Sibérie et du Caucase. La diffusion de la culture et des langues Indo-européennes a transformé toutes ces régions. Malgré l'importance de l'expansion Yamnaya dans l'histoire des populations de l'Âge du Bronze d'Eurasie, leur origine génétique est mal comprise. La première étude de paléo-génétique a mis en évidence deux sources: une ascendance des chasseurs-cueilleurs de l'est (EHG) issue d'Europe de l'est et une ascendance des chasseurs-cueilleurs du Caucase (CHG) issue d'Asie occidentale. Les études suivantes ont montré que la zone des steppes Européennes était le lieu d'un mélange génétique entre les chasseurs-cueilleurs de l'est et les chasseurs-cueilleurs de l'ouest (WHG). Ainsi les chasseurs-cueilleurs d'Ukraine de la vallée du Dniepr possèdent une certaine proportion d'ascendance WHG. Ensuite il a été découvert que la population Yamnaya a une faible proportion d'ascendance des fermiers d'Anatolie (ANF), absente chez les populations précédentes des steppes et issue des fermiers d'Europe voisins des steppes. Cependant, plus tard il a été montré que cette ascendance des fermiers d'Anatolie est arrivée dans la population Yamnaya, via le Caucase et non pas via l'Europe. Enfin il a été reconnu que les populations des steppes n'étaient pas seulement formées génétiquement par un mélange nord (EHG)/sud (CHG + ANF), mais aussi par une faible proportion d'ascendance Sibérienne contenue dans les populations du Nord Caucase.
Iosif Lazaridis et ses collègues viennent de publier en pre-print un papier intitulé: The Genetic Origin of the Indo-Europeans. Ils ont analysé le génome de 372 anciens individus des steppes et des régions voisines, datés entre 6400 et 2000 av. JC.:
Les auteurs ont réalisé une Analyse en Composantes Principales. Dans la figure ci-dessous les individus de la culture Yamnaya sont représentés par des symboles rouges qui se regroupent au centre de la figure. La première composante sépare en bas les anciennes populations d'Asie de l'ouest à gauche des fermiers d'Europe à droite, et en haut les anciens Sibériens à gauche des chasseurs-cueilleurs d'Europe à droite. La seconde composante sépare les populations du nord de l'Eurasie en haut des populations d'Asie de l'ouest en bas:
En utilisant un nouveau modèle basé sur les logiciels qpWave et qpAdm les auteurs ont identifié trois gradients sur cette PCA: un gradient de la Volga, un gradient du Dniepr et un gradient Caucase/Basse Volga. Ces trois gradients divergent d'une zone unique au centre de la PCA incluant les populations de la basse vallée du Don (Krivyansky: symboles lozange vert), de la basse vallée de la Volga (Berezhnovka-2: symboles disque vert) et des montagnes du nord Caucase (Progress-2, Vonyuchka-1, et Sharakhalsun: symboles carré et triangle pointe vers le bas vert). De cette zone le gradient de la Volga se dirige vers les chasseurs-cueilleurs de l'est, le gradient du Dniepr vers les chasseurs-cueilleurs du Néolithique d'Ukraine (UNHG) et le gradient Caucase/Basse Volga vers les populations du Caucase et d'Asie de l'ouest. Ainsi ces trois gradients relient des populations pré-énéolithiques aux populations énéolithiques situées au centre de la PCA.
Le gradient de la Volga est constitué d'individus issus de sites archéologiques situés le long des voies navigables qui alimentent la mer Caspienne. Les deux sites situés le plus au nord: Sakhtysh (carrés beige) et Murzikha (disques beige) sont situés sur la PCA dans la portion qui relie les EHG aux UNHG. Le coude de ce gradient est formé par les EHG situés aussi bien dans le nord en Carélie que plus au sud dans le bassin moyen de la Volga. La partie du gradient située entre le groupe EHG et le centre de la PCA est composée par les anciens individus des sites situés le long de la Volga de Labazy, Lebyazhinka, Ekaterinovka, Syezzheye, puis Khvalynsk (4500-4350 av. JC.) et ensuite Khlopkov Bugor,et Berezhnovka (4450-3960 av. JC.). Le long de ce gradient la décroissance de l'ascendance EHG est contrebalancée par la croissance de l'ascendance CHG, qui suggère que cette dernière est générée par une population non encore échantillonnée située entre la Géorgie et la basse vallée de la Volga. La corrélation archéologique de cette population responsable de l'interaction EHG/CHG est supposée commencer avec la culture fourragère de Seroglazovo située proche de l'estuaire de la Volga et continuer avec le cimetière de Nalchik daté vers 4800 av. JC. et non encore échantillonné. Au bout de ce gradient les quatre échantillons de Berezhnovka-2 se regroupent avec un individu du site de Progress-2 et forme le cluster nommé BPgroup sur la PCA (disques verts). Un second individu du site de Progress-2 se regroupe avec un individu du site de Vonyuchka-1 et forme le cluster PVgroup (carrés verts). Ces deux clusters sont distincts mais leur différentiation génétique reste faible suggérant des mouvements de population entre les piedmonts du Caucase et la basse vallée de la Volga. De manière intéressante ces deux derniers groupes montrent une position spécifique des squelettes allongés sur le dos et les genoux relevés, position qui sera plus tard caractéristique de la culture Yamnaya. On remarque également que le cluster BPgroup est décalé par rapport au cluster PVgroup vers les populations de Sibérie et d'Asie Centrale. Une interprétation naturelle de ce gradient est que les ancêtres EHG de la haute vallée de la Volga et ceux de la basse vallée de la Volga riches en CHG, se sont mélangés pour former une population différentiée génétiquement mais graduellement le long de cette rivière. Autant l'origine EHG de la haute vallée est claire, autant l'origine CHG est obscure sachant qu'aucun individu de la basse vallée de la Volga antérieur à ceux de Berezhnovka a été analysé. Cette interaction représente également probablement une interaction entre deux communautés de langues différentes. Un individu de ce gradient de la Volga est situé en dehors de cette région sur le site archéologique de Csongrád-Kettőshalom en Hongrie. Il est daté entre 4331 et 4073 av. JC. Il possède environ 88% d'ascendance BPgroup. Il s'agit de l'un des individus de la steppe qui apparaissent au sud-est de l'Europe durant le 5ème millénaire av. JC. L'archéologie a documenté à cette époque, des échanges sur de longues distances entre les Balkans et les steppes motivés par le commerce du cuivre.
Le gradient du Dniepr est formé d'un bout par les anciens individus du Néolithique de la région des rapides de la vallée du Dniepr datés entre 6242 et 4542 av. JC. (UNHG) et de l'autre par la population énéolithique de la culture de Sredny Stog datés entre 4996 et 3372 av. JC. (symboles bleus sur la PCA) et les anciens Yamnaya (symboles rouges). Ce gradient inclut également le cluster PVgroup du nord du Caucase vu ci-dessus. Les populations de ce gradient sont très différentes de celles du gradient de la Volga. Il n'y avait donc pas d'interactions génétiques entre elles. Le groupe Yamnaya est probablement descendant des anciens individus de la culture de Sredny Stog. Cependant l'homogénéité de la population Yamnaya contraste avec l’hétérogénéité de la population Sredny Stog qui s'étire le long du gradient du Dniepr. De manière intéressante, les anciens Yamnayas ne descendent pas des anciens énéolithiques localisés dans la même région qu'eux. L'utilisation du logiciel qpAdm montre que les individus de ce gradient peuvent être modélisés comme issus d'un mélange génétique entre une population UNHG ou GK2 (un individu issu du site de Golubaya Krinitsa localisé dans la moyenne vallée du Don et daté entre 5610 et 5390 av. JC.) et une population Yamnaya. Cependant ces individus possèdent également de l'ascendance EHG suggérant qu'il sont issus d'un mélange génétique entre une population de chasseurs-cueilleurs de la région Dniepr/Don (UNHG ou GK2) et une population du gradient Caucase/Basse Volga. La vallée du Don est représentée dans ces données par deux sites: Golubaya Krinitsa et Krivyansky. L'individu GK2 peut être modélisé comme issu d'un mélange génétique entre une population EHG (33,4%) et une population UNHG (66,6%), suggérant que d'autres anciens individus entre ces deux populations EHG et UNHG ont existé dans la région Don/Volga. En utilisant les plus anciennes sources: Carélie (EHG), UNHG et CHG, on peut voir que tous les anciens individus de l'énéolithique de Krivyansky ou de Golubaya Krinitsa possèdent une proportion variable de CHG. L'individu qui possède le plus de CHG est un individu de Krivyansky qui possède 58.9% d'ascendance CHG, alors que l'individu GK2 n'en possède que 4%:
La présence de l'ascendance CHG dans la région du Don la plus ancienne déterminée dans cette étude se retrouve chez GK1 daté entre 5557 et 5381 av. JC., donc dès le néolithique. Cependant son absence chez GK2 daté de la même époque montre qu'elle n'était pas répandue partout à cette époque. Cependant il y a un doute sur la datation de cet individu à cause d'un possible effet « réservoir marin » qui a tendance à vieillir le résultat. L'analyse des génomes des individus Yamnaya montre que ceux-ci ne sont pas issus d'un simple mélange génétique entre une population de chasseurs-cueilleurs de la moyenne vallée du Don et une population venue du Caucase. Une source issue de la vallée de la Volga incluant une ascendance Sibérienne ou d'Asie centrale est nécessaire. Notamment le cluster BPgroup peut être modélisé comme issu d'un mélange génétique entre l'individu de Krivyansky et 24% d'ascendance issue d'une population d'Asie Centrale (Tutkaul). En utilisant un modèle à trois sources: CHG, GK2 et Tutkaul, on remarque que Krivyansky a très peu d'ascendance d'Asie Centrale (5,1%), mais peut être modélisé comme issu d'un mélange de 56,7% d'ascendance CHG et 43,3% d'ascendance GK2, alors que le cluster BPgroup possède 29,3% d'ascendance d'Asie Centrale (voir figure b ci-dessus). Il est également nécessaire pour modéliser le profil génétique de la population Yamnaya de faire intervenir une proportion d'ascendance des fermiers d'Anatolie issue du gradient Caucase/Basse Volga.
La population Yamnaya située au bord du gradient du Dniepr a peu d'ascendance UNHG ou GK2. Les auteurs peuvent la modéliser comme issue d'un mélange génétique entre une partie de la population Sredny Stog (73,7%) et une population représentée par deux individus des sites archéologiques énéolithiques de Sukhaya Termista I et Ulan IV datés entre 4152 et 3637 av. JC. et situés proche du village de Remontnoye situé au nord de la dépression de Kouma-Manytch entre la basse vallée du Don et la mer Caspienne. Cette ancienne population de Remontnoye (symboles triangles verts pointe vers le haut dans la PCA) n'est située ni sur la gradient de la Volga ni sur celui du Dniepr. Cette population est issue d'au moins deux sources génétiques: une source du sud située dans le Caucase soit les descendants de la population néolithique d'Aknashen en Arménie, soit les ancêtres de la culture de l'Âge du Bronze de Maïkop, et une source du nord issue du gradient de la Volga possédant une faible proportion d'ascendance EHG comme le cluster BPgroup. La composante du Caucase a une proportion proche de la moitié: 44,6% pour la culture d'Aknashen ou 48,1% pour les ancêtres de la culture de Maïkop. Les auteurs ont remarqué également que les individus de la culture de Maïkop des sites de Klady et Dlinnaya-Polyana, possèdent 86,2% d'ascendance d'Aknashen. Ainsi il existe un gradient Caucase/Basse vallée de la Volga (CLV) qui relie les populations de Aknashen, Maikop, Remontnoye et Berezhnovka. La découverte de ce gradient CLV suggère une solution pour l'origine de la population Yamnaya: un mélange génétique entre la population de la culture de Sredny Stog et la population de Remontnoye (voir la figure e ci-dessus). L'intérêt de ce gradient CLV est qu'il fournit à la population Yamnaya, à la fois une ascendance Sibérienne issue de la basse vallée de la Volga et une ascendance des fermiers d'Anatolie issue de la composante Caucasienne.
Le gradient CLV a également un impact plus au sud, en Arménie et en Anatolie. La plus ancienne preuve d’ascendance des steppes au sud du Caucase se trouve sur le site d'Areni-1 du Chalcolithique en Arménie et daté de 4000 av. JC. Sur ce site, la composante de la basse vallée de la Volga (26,9%) s'est mélangée à une composante locale dite Masis Blur. Plus au nord, à Maïkop, la composante de la basse vallée de la Volga s'est mélangée avec une composante Aknashen. La différence entre les composantes Aknashen et Masis Blur réside dans le fait que dans cette dernière l'ascendance CHG a été diluée dans une composante Mésopotamienne. Ainsi les auteurs ont modélisé la composante Masis Blur, comme issue d'un mélange génétique entre une composante Aknashen (33,9%) et une composante nord Mésopotamienne du site de Çayönü (66,1%) associé à une culture néolithique pré-céramique dans le haut bassin du Tigre. La découverte de ce gradient Mésopotamie/Caucase permet d'étudier l'ascendance des populations de l'Âge du Bronze du centre de l'Anatolie, entre le début de l'Âge du Bronze, les colonie Assyriennes et la période Hittite ancienne. Ces populations possèdent ainsi une proportion d'ascendance issue du gradient CLV associée à une ascendance Mésopotamienne. La source exacte de l'ascendance des steppes en Anatolie ne peut pas être déterminée précisément. Les auteurs supposent qu'une population issue du gradient CLV a migré vers le sud, puis vers l'ouest en Anatolie vers 4400 av. JC. soit un millénaire avant la formation de la population Yamnaya. Elle s'est alors mélangée avec la population locale. Ce résultat se retrouve également dans l'analyse du chromosome Y. Ainsi l'haplogroupe R1b-V1636 apparait en Asie de l'ouest sur le site d'Arslantepe en Anatolie de l'est, à Kalavan en Arménie au début de l'Âge du Bronze chez des individus possédant une proportion d'ascendance des steppes. Cet haplogroupe se retrouve également chez des individus des sites de Remontnoye, de Progress-2 et de Berezhnovka, ainsi que sur des sites du gradient de la Volga. C'était ainsi un haplogroupe prédominant dans les populations des steppes pré-Yamnaya:
Cette première migration d'une population de la région des steppes située entre le nord du Caucase et la basse vallée de la Volga, vers l'Anatolie correspondrait à la divergence de la branche Anatolienne avec les autres langues Indo-européennes. Les données génétiques favorisent donc une entrée des locuteurs de la branche Anatolienne en Anatolie par l'est et non par l'ouest. En effet, une arrivée par l'ouest aurait amener un certaine proportion d'ascendance des chasseurs-cueilleurs d'Europe et des fermiers d'Europe dans ces populations. Or on ne les trouve pas dans les échantillons testés aujourd'hui de la population de l'Âge du Bronze d'Anatolie Centrale. La discontinuité géographique entre les populations parlant une langue Anatolienne et les autres populations Indo-européennes est probablement due à l'expansion de la culture Kouro-Araxe autour de 3000 av. JC. au sud du Caucase qui a chassé les Anatoliens de cette région.
Peu après, une autre migration a eu lieu d'une population de cette même région des steppes située entre le nord du Caucase et la basse vallée de la Volga vers la région du Dniepr et du Don pour se mélanger avec la culture Sredny Stog et former la culture Yamnaya dont la population parlait une langue proto-Indo-européenne. Ensuite l'expansion de la population Yamnaya en Eurasie aurait donné naissance aux autres langues Indo-européennes. La formation de la population Yamnaya inférée par le logiciel DATES est estimée autour de 4000 av. JC. Néanmoins la complexité des mélanges génétiques qui entrent en jeu demande de la prudence quant à la fiabilité de ce résultat. Néanmoins, une période énéolithique prouve que le mélange dérivé de qpAdm et observé visuellement dans La PCA, ne s'est pas produit dans un passé lointain, mais correspond, au moins en partie, à l'émergence de la culture de Sredny Stog que cette étude désigne comme ancestrale aux Yamnayas. La remarquable homogénéité génétique de la population Yamnaya qui s'étend sur de vaste territoires géographiques montre que ces individus se sont très peu mélangés avec les populations locales. Cependant les Yamnayas de la vallée du Don se distinguent et peuvent être modélisés comme issus d'un mélange génétique entre une population du noyau Yamnaya (79,4%) et une population UNHG (20,6%). Il est intéressant de noter que cette population Yamnaya de la vallée du Don n'a pas participé à l'expansion Yamnaya en Eurasie. L'analyse des haplogroupes du chromosome Y montre que la très grande majorité des hommes du noyau Yamnaya était de l'haplogroupe R1b-L23, mais on trouve également quelques R1b-V1636 typique des populations pré-Yamnaya, quelques R1b-L51 typique de la population Campaniforme, quelques I2a typique des chasseurs-cueilleurs d'Europe et quelques Q1 typiques des populations Sibériennes.
En résumé, les auteurs ont tracé l'origine de la population Yamnaya sur le gradient du Dniepr par un mélange génétique entre la population Sredny Stog de la région entre le Dniepr et le Don et une population du gradient CLV. Cette dernière s'est formée par un mélange génétique entre une population Arménienne possédant une forte proportion de CHG ainsi qu'une faible proportion d'ANF, et une population voisine du cluster BPgroup contenant de l'ascendance EHG et de l'ascendance Sibérienne ou d'Asie Centrale:
Origine génétique des Indo-européens
samedi 20 avril 2024. Lien permanent ADN ancien
une réaction
1 De morgari - 21/04/2024, 11:57
Merci, Bernard, un résumé élaboré clairement!