La région du Caucase et son voisinage correspondent à une interface entre l'Europe et l'Asie. Au milieu de l'Holocène, les hautes montagnes du Caucase ont fonctionné comme une barrière semi-perméable à travers laquelle les idées, les technologies, les langues et les peuples ont bougé. Avec son écologie diverse et ses ressources en métaux, le Caucase et sa région avoisinante sont devenus un creuset à l'Âge du Bronze et le lieu d'origine des premières sociétés de pasteurs des steppes durant le quatrième millénaire av. JC. L'expansion continentale de ces sociétés dans les deux millénaires qui ont suivi ont transformé le profil génétique, les langues et les cultures des populations d'une bonne partie de l'Eurasie. Cependant, leur émergence à partir des groupes locaux de chasseurs-cueilleurs et leurs connexions avec les communautés naissantes de fermiers du croissant fertile restent peu comprises, ainsi que leur disparition au second millénaire av. JC.

Ayshin Ghalichi et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: The rise and transformation of Bronze Age pastoralists in the Caucasus. Ils ont séquencé le génome de 131 anciens individus issus de 38 sites archéologiques de la région du Caucase datés du Mésolithique et du Néolithique (n=7), de l'Énéolithique (n=11), de la fin de l'Énéolithique et du début de l'Âge du Bronze (n=20), du début de l'Âge du Bronze à l'Âge du Bronze moyen (n=51) et de la fin de l'Âge du Bronze (n=42). Parmi ces individus 102 génomes de bonne qualité ont été obtenus:

2024_Ghalichi_Figure1.png, oct. 2024

Les auteurs ont réalisé une Analyse en Composantes Principales. La figure ci-dessous donne le résultat pour les échantillons datés entre le 7ème et le 5ème millénaires av. JC. Les plus vieux individus de cette étude sont issus de la grotte Satanaj en Russie (pentagone bleu clair) et du site d'Arukhlo en Géorgie du début du Néolithique (losanges marrons). Dans la figure ci-dessous, l'individu de Russie se regroupe avec les chasseurs-cueilleurs de l'est (EHG) de Carélie. A l'inverse les fermiers de Géorgie se situent sur un gradient qui relie les chasseurs-cueilleurs du Caucase au fermiers Néolithiques d'Anatolie. Ils se situent également avec des fermiers d'Arménie et d'Azerbaïdjan. Ces résultats suggèrent que la néolithisation du Caucase s'est faite via un mouvement de population des fermiers du croissant fertile vers le Caucase. De plus, il est intéressant de noter que les fermiers d'Anatolie se situent sur un gradient qui relie les anciens chasseurs-cueilleurs du Levant à ceux d'Anatolie:

2024_Ghalichi_Figure2aa.png, nov. 2024

L'utilisation du logiciel qpAdm permet de modéliser les mélanges génétiques dans les différentes populations en fonction des principales populations source:

2024_Ghalichi_Figure2c.png, oct. 2024

Durant l'Énéolithique au cinquième millénaire av. JC., un mode de vie fermier a été introduit au nord du Caucase associé à la culture de Darkveti–Meshoko. A la suite de ce processus, la zone des steppes située plus au nord le long de la basse vallée de la Volga est habitée par des groupes de pasteurs-cueilleurs de la culture de Khvalynsk. Les huit nouveaux échantillons datés de l'Énéolithique de cette étude permettent de mieux décrire la formation de ces groupes. Ainsi on observe la formation progressive de l'ascendance typique des steppes à partir d'un mélange entre une composante CHG et une composante EHG. Sur la PCA ci dessous, ces individus des steppes de l'Énéolithique (pentagones verts) sont situés sur un gradient entre les populations CHG et les populations EHG. Les deux individus du site Énéolithique de Nalchik (losanges vert foncé) se situent dans une position intermédiaire entre les Énéolithiques des steppes et les fermiers du Caucase suggérant des flux de gènes entre ces groupes comme on peut le voir dans la figure de la PCA ci-dessus. Cela implique que la composante des steppes pré-date ces individus du début du cinquième millénaire av. JC. Elle a donc été formée par le mélange génétique de deux populations de chasseurs-cueilleurs EHG et CHG, avant l'émergence de la culture Néolithique de Darkveti–Meshoko. L'utilisation du logiciel DATES permet d'estimer le mélange génétique chez les fermiers de Géorgie entre 6300 et 6000 av. JC. et chez les Énéolithiques des steppes entre 5800 et 5300 av. JC.

Au quatrième millénaire av. JC. la région est dominée par la culture de Maykop. Les résultats de cette étude montrent que ces individus se séparent en plusieurs groupes différents: les anciens individus de la culture de Maykop (en rouge), les anciens individus de Maykop des steppes (en bleu) et les outliers de ce dernier groupe (en vert et bleu turquoise):

2024_Ghalichi_Figure2b.png, nov. 2024

Les anciens individus de la fin de l'Énéolithique (pentagones vert foncé) se situent sur le gradient EHG/CHG comme leurs prédécesseurs de l'Énéolithique, mais possèdent néanmoins plus d'ascendance EHG que ces derniers. Cependant deux outliers de la fin de l'Énéolithique (pentagones bleu turquoise) sont déviés vers les anciens individus du Caucase, et possèdent donc moins de composante EHG. Ces individus suggèrent des flux de gènes entre les groupes Énéolithiques et les populations du Caucase. Les anciens individus de la culture de Maykop montrent une continuité génétique avec leurs prédécesseurs de l'Énéolithique du Caucase. Les anciens individus de Maykop des steppes (en bleu clair) sont décalés vers les anciennes populations du Botaï et des chasseurs-cueilleurs de l'ouest de la Sibérie possédant une forte proportion d’ascendance des anciens nord Eurasiens (ANE), suggérant des flux de gènes avec des populations situées au nord-est. Cette composante est absente de tous les autres groupes contemporains de la région. Enfin deux groupes d'outliers (en vert clair et cercle bleu turquoise) se situent entre les anciens individus de la culture de Maykop et les anciens Maykop des steppes et suggèrent des mélanges génétiques entre ces deux groupes.

2024_Ghalichi_Figure2d.png, nov. 2024

Les auteurs ont analysé le génome de dix nouveaux anciens Yamnayas. Sur la figure ci-dessous ils sont situés sur le gradient EHG/CHG. Seuls les Yamnayas de l'ouest peuvent être modélisés comme issus d'un mélange génétique entre une population Énéolithique des steppes et une population des fermiers d'Ukraine (Cucuteni–Trypillia ou culture des amphores globulaires). Par contre en utilisant trois populations sources, il est possible de modéliser toutes les populations Yamnayas comme issues d'un mélange génétique entre une population Énéolithique des steppes, une population de la culture de Maykop et une population des fermiers d'Ukraine:

2024_Ghalichi_Figure3a.png, nov. 2024

Les anciens individus plus tardifs de l'Âge du Bronze Moyen se regroupent avec les anciens Yamnayas précédents suggérant une continuité génétique dans la région durant le troisième millénaire av. JC. Plus au sud dans le Caucase les auteurs ont également identifié une continuité génétique entre les populations de la culture de Maykop et les populations postérieures de la culture Kouro-Araxe. Enfin les population de l'Âge du Bronze d'Iran peuvent être modélisées comme issues d'un mélange génétique entre une population Chalcolithique d'Iran et une population de la culture Kouro-Araxe:

2024_Ghalichi_Figure3c.png, nov. 2024

A la fin de l'Âge du Bronze entre 2200 et 1650 av. JC. les steppes sont occupées par des population post-Catacombe. Sur la PCA, l'espace auparavant occupé par les populations Yamnaya est maintenant quasiment vide avec seulement quatre individus positionnés ici. Tous les autres kourganes de la steppe ont livré des individus (en bleu ci-dessous) décalés vers les populations du Caucase. Ils peuvent être modélisés comme issu d'un mélange génétique entre une population de la culture des Catacombes (79%) et une population Kouro-Araxe (21%). Parmi les populations contemporaines, les individus de la culture Lola (en bleu foncé) du nord du Caucase, se situent à l'emplacement des précédents anciens individus Maykop de la steppe. Un individu de la culture Srubnaya (pentagone vert ci-dessous) se regroupe avec les autres anciens individus de cette même culture préalablement publiés. Il peut être modélisé comme issu d'un mélange génétique entre une population précédente de la culture de Sintashta et des populations des steppes. Les anciens individus des steppes de la fin de l'Âge du Bronze qui précèdent les Scythes (pentagones bleu clair ci-dessous) représentent la dernière occurrence du profil génétique des steppes dans la région, bien qu'ils possèdent des traces d'ascendance ANE comme les anciens individus de la culture Lola:

2024_Ghalichi_Figure3b.png, nov. 2024

Les individus du Caucase de la fin de l'Âge du Bronze (losanges marrons, oranges, jaunes et roses) sont décalés vers le haut vers les populations des steppes. Ils peuvent être modélisés comme issus d'un mélange génétique entre une population Kouro-Araxe et une population des steppes de l'Âge du Bronze. Ces individus sont cependant localisés sur un gradient est/ouest. Ainsi les individus de l'ouest du Caucase ont plus d'affinité avec les anciens individus de la culture de Maykop alors que ceux de l'est ont plus d'affinité avec les populations Kouro-Araxe:

2024_Ghalichi_Figure3d.png, nov. 2024

Parmi 105 individus issus de 21 kourganes, les auteurs ont identifié seulement quinze relations au premier ou au second degré. Ces résultats suggèrent que ces sépultures ne sont pas des tombes familiales.