Depuis 5000 ans, des migrations humaines significatives ont restructuré le profil génétique des populations d'Eurasie. Différentes vagues d'ascendance de la steppe associées aux pasteurs de la culture Yamnaya se sont diffusées sur de longues distances. Ces migrations ont également joué un rôle clef dans la diffusion des langues Indo-européennes. Cependant, cette ascendance a atteint différentes régions de l'ouest de l'Eurasie via des mécanismes distincts et à différentes époques. Ainsi cette diffusion s'est propagée en Europe via les cultures Cordée entre 3000 et 2350 av. JC. et Campaniforme entre 2600 et 1800 av. JC. Cependant cette diffusion en Asie de l'ouest et dans l'est de la Méditerranée est moins bien comprise. Autour de la Méditerranée, les langues Indo-européennes incluent le Gaulois, le Latin, le Grec et l'Arménien, ce dernier étant originaire du sud Caucase et de l'est de l'Anatolie. Du point de vue linguistique plusieurs hypothèses ont été formulées pour expliquer la divergence de ces quatre langues. L'hypothèse Indo-grecque réunit le groupe grec relié au Phrygien avec l'Indo-iranien, alors que l'hypothèse Gréco-arménienne réunit le grec avec l'arménien. De la même façon le groupe Italique a été relié soit au groupe Celtique soit au groupe Germanique. Bien qu'un consensus existe autour des hypothèses Gréco-arménienne et Italo-celtique, un débat subsiste à leur sujet.

Fulya Eylem Yediay et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Ancient genomics support deep divergence between Eastern and Western Mediterranean Indo-European languages. Ils ont analysé le génome de 314 anciens individus d'Espagne, de France, d'Italie, de Hongrie, de Moldavie, de Grèce, de Chypre, de Turquie, de Syrie et du Liban datés entre 5200 et 2100 ans. Ils ont également effectué des analyses isotopiques et des datations radiocarbone sur certains de ces échantillons. Ces données ont été ajoutées à 2089 génomes des mêmes régions préalablement publiés:

2024_Yediay_Figure1.png, déc. 2024

En France, ces nouveaux génomes sont issus de la grotte Lano en Corse dont les restes humains sont datés de l'Âge du Bronze et du cimetière également de l'Âge du Bronze de Migennes dans l'Yonne.

Les auteurs ont réalisé une analyse des segments IBD de l'ensemble de ces génomes et ont utilisé une approche hiérarchique basée sur le réseau pour obtenir des groupes de population à petite échelle en fonction de la longueur totale des segments IBD partagés entre des paires d'individus afin de réunir entre eux les individus qui partagent le plus d'ADN. Ils ont ainsi mis en évidence six groupes principaux d'anciens individus: un groupe proche des fermiers d'Europe, un groupe proche des chasseurs-cueilleurs d'Europe, un groupe proche des anciens individus du Caucase et d'Iran, un groupe proche des pasteurs des steppes, un groupe proche de l'Asie centrale et de Sibérie, et un groupe proche des chasseurs-cueilleurs du Maroc. De plus le groupe proche des fermiers d'Europe peut être subdivisé en quatre groupes entre l'est et l'ouest de la Méditerranée. Le groupe des steppes peut-être subdivisé entre trois groupes: Russie et Asie centrale, un groupe relié aux Campaniformes et le troisième qui inclut les individus reliés aux Yamnaya et aux Cordés. En se focalisant sur la période comprise entre 5000 et 3000 ans, les auteurs ont observé différents motifs émerger:

2024_Yediay_Figure2.png, déc. 2024

Ainsi le groupe Yamnaya et Cordé (en bleu ci-dessus) issu des steppes Pontiques s'étend au troisième millénaire av. JC., jusqu'à l'est de l'Europe centrale et au nord de la Grèce. Il ne subsiste au second millénaire av. JC. qu'à l'ouest de la mer Noire et en Arménie, alors que le groupe Campaniforme (en vert) s'étend sur une bonne partie de l'Europe. En Grèce, il y a deux individus de l'Âge du Bronze appartenant au groupe Yamnaya et Cordé, plus précisément aux sous-groupes Yamnaya et Arménie-Caucase. A l'est de cette région, des individus de Moldavie se situent dans le groupe Yamnaya alors que ceux de l'est de la Méditerranée se situent dans le groupe des fermiers en rose. Enfin tous les individus d'Anatolie, de Chypre et du Levant se situent dans le sous-groupe Méditerranéen des fermiers durant le troisième et le second millénaire av. JC.

Ensuite en étudiant les échantillons du sud de l'Europe, les auteurs ont mis en évidence une distinction entre les anciens individus d'Espagne, France et Italie et ceux de Grèce. En effet, les premiers prennent leur ascendance des steppes dans les Cordés anciens alors que les seconds la prennent dans les Yamnayas directement. Cette distinction se fait par l'analyse de la composante fermier de ces individus qui vient de la culture des amphores globulaires chez les Cordés. Cette composante est présente en Espagne, France et Italie, mais absente en Grèce. Ce résultat met en évidence une division nette dans la composante des steppes entre les individus de l'est et de l'ouest de la Méditerranée. En introduisant une troisième source de la composante des steppes: celle issue des populations campaniformes, les auteurs ont montré que les anciens individus du sud-ouest de l'Europe sont reliés aux campaniformes alors que ceux de Grèce sont reliés aux Yamnayas directement:

2024_Yediay_Figure3.png, déc. 2024

Cependant les anciens individus des Balkans montrent une influence mixte à la fois des campaniformes, des cordés et des Yamnayas. Durant la période Mycénienne en Grèce, la composante Yamnaya devient prépondérante, s'étendant même à l'est de la Méditerranée au deuxième millénaire av. JC. Ces résultats suggèrent une migration directe Yamnaya dans le Péloponnèse supportée notamment par la présence de l'haplogroupe du chromosome Y: R1b-Z2103 chez deux individus du site d'Ayios Vasileios, d'un individu du cimetière Mycénien de Voudeni et d'un individu issu du site de Kirrha:

2024_Yediay_Figure5.png, déc. 2024

Les individus de l'Âge du Bronze d'Italie se regroupent en trois clusters distincts. Le premier est le groupe relié au campaniforme commun à des individus de France et d'Espagne. Il inclut tous les anciens individus de Corse et d'Italie centrale. Un second groupe est davantage relié aux fermiers d'Europe. Il inclut les anciens individus du site d'Olmo dans le nord de l'Italie. Le troisième groupe est relié au groupe Yamnaya et inclut les anciens individus de la côte Adriatique.

La diffusion du néolithique au Caucase et en Iran a contribué à diffuser de l’ascendance des fermiers d'Anatolie dans cette région qui s'est mélangée avec l'ascendance locale des chasseurs-cueilleurs du Caucase CHG. De plus, l'expansion de la culture Kouro-Araxe durant le troisième millénaire av. JC. a connecté le Caucase avec le Levant et la Mésopotamie à travers des réseaux d'échanges. L'interaction entre l'Anatolie et le Caucase s'est accrue durant le Chalcolithique et l'Âge du Bronze conduisant à l'expansion de la composante CHG dans ces régions et au-delà en Méditerranée. Dans cette étude les auteurs ont analysé le génome de 25 individus d'Anatolie de l'Âge du Bronze et de l'Âge du Fer. Ils sont tous issus d'un mélange génétique entre une composante locale fermier d'Anatolie, une composante des chasseurs-cueilleurs du Caucase et une faible proportion de la composante des fermiers d'Iran. De plus, quelques individus ont une faible proportion d'ascendance des chasseurs-cueilleurs d'Europe de l'est (EHG). Les deux composantes CHG et EHG sont plus élevées à l'Âge du Fer qu'à l'Âge du Bronze. Ainsi à l'Âge du Fer, les auteurs ont observé l'arrivée d'une ascendance des steppes en Anatolie centrale identique à celle présente dans les Balkans et en Grèce suggérant une migration de cette dernière région vers l’Anatolie. Les auteurs font l'hypothèse que cette migration est liée à l'émergence de l'état Phrygien au second millénaire av. JC.

Les anciens individus de Chypre suggèrent que cette île et notamment les villes côtières étaient un melting-pot génétique durant l'Âge du Bronze. Ils ont un profil génétique proche de ceux des anciens individus du Liban et de l'est de l'Anatolie. Cependant un individu est proche génétiquement des premiers fermiers d'Anatolie, un autre a un profil génétique proche des anciens individus des Balkans et de Grèce. On trouve également à cette époque un ancien individu possédant le profil génétique des anciens individus de Scandinavie dans une tombe creusée dans la roche sur le site de Vounous Bellapais datée entre 2000 et 1800 av. JC. De manière intéressante, cet homme est également de l'haplogroupe du chromosome Y: I1 typique de Scandinavie. Son analyse isotopique du strontium confirme son origine étrangère compatible avec la Scandinavie. Ce résultat suggère des interactions à très longues distance sur l'île de Chypre à l'Âge du Bronze. Dans la période suivante, à l'Âge du Fer, la population de Chypre à un profil génétique plus homogène contenant une faible proportion d'ascendance Yamnaya.

Les analyses isotopiques montrent qu'à l'Âge du Bronze de nombreux individus sont d'origine étrangère. C'est le cas en Grèce, à Chypre, en Italie et en Espagne

En conclusion, cette étude montre que les résultats de la paléo-génétique confortent les modèles linguistiques Italo-celtique et Gréco-arménien et déqualifient les modèles Indo-grecs et Italo-germanique. Ainsi la plus ancienne occurrence de l'ascendance steppique en Italie vient de deux individus du Latium datés de 2100 av. JC. reliés au groupe campaniforme et non au groupe Yamnaya, de manière similaire aux populations celtiques de l'ouest de l'Europe. En Grèce, la plus ancienne occurrence de l'ascendance des steppes est datée de 2200 av. JC. chez des individus reliés directement au groupe Yamnaya. Ils ne possèdent pas de composante issue de la culture des amphores globulaires. Cette arrivée précède l'émergence de la langue grecque sous la forme de l'écriture linéaire B. La langue arménienne est attestée depuis environ 1550 ans au sud du Caucase et dans l'est de l'Anatolie. A la fin de l'Âge du Fer cette région est sous l'emprise de royaume d'Ourartou. Cet état est culturellement divers et contenait des éléments linguistiques arméniens suggérés par les emprunts entre les deux langues ourartienne et arménienne. L'ascendance des steppes a été détecté dans différents individus de cette région à l'Âge du Bronze à la fin du troisième millénaire av. JC. coïncidant à la chute de la culture Kouro-Araxe. Ces individus possédant une ascendance des steppes sont reliés au groupe Yamnaya, comme les anciens grecs.