Le paysage linguistique de l'Europe actuel est dominé par les langues Romanes, Germaniques et Slaves qui se sont diffusées relativement récemment durant l'Âge du Fer et après l'émergence de l'empire Romain et des migrations barbares. Cependant avant ces événements, les langues celtiques dominaient en Europe: le Lépontique dans les Alpes, le Celtibère dans la péninsule Ibérique, différents dialectes Gaulois en France et diverses langues en Europe centrale, dans le nord de l'Italie, dans les Balkans et même en Anatolie. Aujourd'hui, ces langues ne survivent que dans une frange nord-ouest de l'Europe dans les îles Britanniques et en Bretagne.
Les études de paléo-génomique récentes ont suggéré que la diffusion des langues Indo-européennes se sont diffusées à la suite des migrations des pasteurs des steppes durant le 5ème millénaire av. JC. Ces dernières ont apporté une ascendance des steppes en Europe, et ont constitué divers groupes de l'Âge du Bronze en se mélangeant avec l'ascendance des fermiers Néolithiques. Ainsi l'ascendance des pasteurs des steppes s'est d'abord mélangée avec la culture des amphores globulaires pour former la culture cordée. Ensuite, cette ascendance cordée s'est mélangée avec diverses composantes issues de cultures des fermiers d'Europe. Il a été suggéré que la diffusion du Campaniforme en Europe occidentale a été associée à la diffusion de diverses langues Indo-européennes dont les langues celtiques. Ainsi en Grande-Bretagne les études ont identifié des transitions génomiques il y a 4500 ans, mais également entre 3200 et 2800 ans identifiant plusieurs scénario possible pour l'arrivée des langues celtiques.
Hugh McColl et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Tracing the Spread of Celtic Languages using Ancient Genomics. Ils ont séquencé 752 anciens génomes dont 126 originaires de France, Allemagne, Autriche et des Îles Britanniques. Ces nouveaux génomes ont été associés à d'autres préalablement publiés pour former un ensemble de 4587 anciens individus:
Les auteurs ont effectué une analyse de clustering hiérarchique basée sur les segments identiques par descente (IBD). Les auteurs en ont déduit une analyse spatio-temporelle des ascendances cordée, campaniforme et des fermiers d'Europe autour de 2300 av. JC et autour de 500 av. JC. Entre ces deux périodes, la répartition géographique de l'ascendance cordée reste stable, alors que celle du campaniforme s'étend et celle des fermiers se rétracte:
En se basant sur un échantillonnage direct, les auteurs ont montré que l'ascendance campaniforme est présente en France en 2463 av. JC., au Pays-Bas en 2384 av. JC., dans les îles Britanniques vers 2300 av. JC. et dans le sud de l'Europe vers 2300 av. JC. Quoique arrivant en même temps en Europe occidentale, la proportion de l'ascendance campaniforme est plus élevée en Grande-Bretagne et au Pays-Bas qu'en France, Italie ou dans la péninsule Ibérique. De plus l'arrivée de l'ascendance campaniforme en Europe est associée à l'arrivée de l'haplogroupe du chromosome Y: R1b-P312.
Durant l'Âge du Bronze et l'Âge du Fer, plusieurs migrations vers l'ouest ou vers l'est ont été mises en évidence à la périphérie des régions campaniformes. Cela se voit notamment en République Tchèque avec une expansion campaniforme en remplacement de la culture cordée et sa réduction consécutive durant la période Unetice qui correspond à la réapparition de l'ascendance cordée venue de l'est.
Les auteurs ont mis en évidence des clusters IBD dont les individus étaient principalement formés d'ascendance des fermiers d'Europe. Ils ont ensuite essayer de déterminer si ces clusters contribuaient à l'ascendance des clusters dont les individus étaient formés principalement d'ascendance campaniforme. En Grande-Bretagne, entre 4800 et 4000 ans, les individus sont formés principalement d'une ascendance campaniforme. Le reste est formé d'abord par une composante fermier locale, puis par des composantes fermiers du continent. Durant l'âge du Bronze moyen, entre 4000 et 3200 ans, la plus forte composante fermier est issue de France et de la péninsule Ibérique, suggérant des migrations venues du continent. Ces résultats sont confortés archéologiquement par la présence de cuivre issue de la péninsule Ibérique en Angleterre. A la fin de l'âge du Bronze, la proportion d'ascendance des fermiers d'Italie augmente en Angleterre, pour devenir équivalente à la proportion des fermiers de France et de la péninsule Ibérique. A l'Âge du Fer, on voit apparaitre une ascendance de l'Âge du Bronze d'Anatolie. Ces résultats suggèrent des migrations venues de différentes régions d'Europe.
En France, les transitions sont similaires pour les différentes périodes considérées. En république Tchèque, il y a une augmentation de l'ascendance des fermiers d'Italie et de l'Âge du Bronze d'Anatolie entre 3200 et 2800 ans. Il n'y a pas d'apparition d'ascendance des fermiers de France ou de la péninsule Ibérique. La première occurrence de cette ascendance d'Italie et d’Anatolie en république Tchèque se situe il y a 3300 ans dans la culture des Tumulus suivie par les périodes Knovíz et Hallstatt.
En incluant dans le modèle des ascendances issues de l'Âge du Bronze, les auteurs ont trouvé qu'une ascendance de l'Âge du Bronze de France et de la péninsule Ibérique apparait en Angleterre à l'Âge du Bronze moyen et une ascendance de l'Âge du Bronze de Hongrie et de Serbie apparait à l'Âge du Fer en Angleterre. En république Tchèque les individus de la fin de l'Âge du Bronze sont formés par une forte proportion d'ascendance de l'Âge du Bronze de Hongrie et de Serbie:
Les auteurs ont ensuite inclus dans le modèle une ascendance de la fin de l'Âge du Bronze associée au groupe de la culture Knovíz formée principalement par une ascendance de l'Âge du Bronze de Hongrie et de Serbie. Cette ascendance apparait au début de l'Âge du Fer en Europe de l'ouest du sud et centrale en diverses proportions. En Angleterre, l'ascendance dominante est celle du campaniforme suivie par l'ascendance de la culture Knovíz et celle issue de France et de la péninsule Ibérique. Sur le continent la proportion d'ascendance campaniforme est faible. Les ascendances dominantes sont celles de l'Âge du Bronze de la culture Knovíz, de France et de la péninsule Ibérique, et de Hongrie et de Serbie. Comparé à l'Angleterre la proportion d'ascendance de la culture de Knovíz en France, Allemagne et république Tchèque est élevée. En Angleterre, la proportion d’ascendance de l'Âge du Bronze d'Angleterre est élevée suivie par les ascendances de la culture de Knovíz et de France et de la péninsule Ibérique.
L'utilisation du logiciel qpAdm montre qu'en Angleterre il y eut trois migrations issues de trois sources différentes à différentes périodes: l'arrivée de l'ascendance des steppes avec le campaniforme, des groupes de l'Âge du Bronze moyen issue de France et de la péninsule Ibérique. Enfin à la fin de l'Âge du Bronze il y a l'arrivée de groupes venus d'Europe centrale et de l'est. Ces résultats coïncident avec l'apparition en Angleterre des haplogroupes du chromosome Y: R1b-L21 avec le campaniforme, R1b-DF27 durant l'âge du Bronze moyen et R1b-U152 à la fin de l'Âge du Bronze.
Archéologiquement la fin de l'Âge du Bronze en Europe est caractérisée par la culture des champs d'urnes. Cette dernière diffuse la crémation comme pratique mortuaire. Nous n'avons donc pas de génomes d'individus issus de cette culture à l'exception de ceux de la culture Knovíz. Les résultats de cette étude sont en accord avec une diffusion vers l'ouest de la culture des champs d'urnes jusqu'en France et la péninsule Ibérique.
La population campaniforme a été associée à la diffusion des langues italo-celtiques. Un possible reliquat de ces langues est le lusitanien qui était parlé dans la péninsule Ibérique pendant l'antiquité. Dans les îles Britanniques, en France et dans la péninsule Ibérique, une large proportion de l'ascendance génétique issue de l'Âge du Bronze persiste durant l'âge du Fer suggérant que ces dialectes italo-celtiques ont évolué localement. Des études précédentes ont suggéré que les langues Gaéliques et Brittoniques ont été introduites en Grande-Bretagne en venant de France durant l'Âge du Bronze moyen ou récent. Cette hypothèse est renforcée par la détection d'une ascendance génétique issue de France et de la péninsule Ibérique en Grande-Bretagne. D'autre part l'expansion de l'ascendance issue de la culture Knovíz issue d'Europe de l'est, continuant ensuite dans les culture de Hallstatt et de la Tène fournissent de nouvelles preuves que certaines langues celtiques sont arrivées en France, Grande-Bretagne, la péninsule Ibérique et l'Italie par des populations associée à la culture des champs d'urnes. Notamment la langue lépontique a été associée à la culture de Golasecca en Italie du nord.
Diffusion des langues celtiques
mardi 4 mars 2025. Lien permanent ADN ancien
8 réactions
1 De lsfe - 04/03/2025, 12:09
Bonjour,
Merci pour ces informations.
Est-ce qu'il serait possible de préciser ce qu'indiquent les termes "ascendance campaniforme" et "ascendance des fermiers d'Italie et de l'Âge du Bronze d'Anatolie" ?
2 De Bernard - 04/03/2025, 13:55
Bonjour lsfe,
L'ascendance campaniforme est le profil génétique moyen des anciens individus du campaniforme. De même l'ascendance des fermiers d'Italie est le profil génétique moyen des anciens fermiers d'Italie et l'ascendance de l'Âge du Bronze d'Anatolie est le profil génétique moyen des anciens individus de l'Âge du Bronze d'Anatolie.
3 De lsfe - 04/03/2025, 17:34
Je vous avoue je suis un peu perdu au niveau des langues celtiques. Origine campaniforme ou champs d'urnes ?
4 De Bernard - 04/03/2025, 18:31
probablement les deux. Les campaniformes étant plus anciens parlaient probablement une langue proto-celtique qui a évolué par la suite en différentes langues distinctes. Les champs d'urnes devaient parler une de ces langues celtiques qui s'est diffusée vers l'ouest.
5 De Sylvain - 06/03/2025, 09:02
Bonjour Bernard:
Très intéressante étude. Merci votre compte-rendu de lecture, excellent comme toujours. Pour les amateurs passionnés dont je fais partie, votre blog est une mine d’informations. Vous avez toute ma reconnaissance pour votre infatigable travail.
Je crois comprendre que le débat est toujours ouvert sur la question de savoir si l’origine de R-L21 est insulaire (« southwest Britain » selon Joe Flood, 2016), ou continentale (en France, dans le Pas-de-Calais, d’après le visuel de la migration de R-L21 proposé par l’outil GlobeTrekker de FTDNA)
Il semblerait que l’information de FTDNA ne repose pas sur la découverte de restes humains sur le continent, mais pour l’instant sur une estimation de l’âge du Most Recent Common Ancestor (MRCA) de R-L21, qui aurait vécu vers 2650 AEC, alors qu’aucun R-L21 n’a été retrouvé dans les Îles britanniques qui soit daté d’avant que les Campaniformes n’y pénètrent, c’est-à-dire pas avant 2450 AEC, soit 200 ans plus tard.
Le fait qu’une élite de marchands-guerriers itinérants, impliqués dans le commerce du cuivre et de l’étain, se déplaçait beaucoup - notamment entre les îles britanniques et la vallée du Rhin - constitue probablement aussi un facteur de complication.
L’analyse des auteurs au moyen du logiciel qpAdm, montrant qu’il existe une coïncidence entre l'apparition en Angleterre de l’haplogroupe du chromosome Y R1b-L21 d’une part, et d’autre part l’arrivée de l’ascendance des steppes avec le campaniforme, donne-t-elle - à votre avis - un avantage à la thèse défendue par Joe Flood, qui soutient l’origine insulaire de R-L21?
6 De Andour - 06/03/2025, 12:05
Une étude longtemps attendue ! Dans cette vaste partie centrale de l'Europe, où les haplogroupes masculins dominants étaient les mêmes, et où le mix autosomal était particulièrement homogène, les migrations internes à la zone, bien que pressenties, restaient difficiles à prouver. L'utilisation des IBD permet enfin de montrer qu'il y a bien eu glissement de populations vers l'ouest à la transition entre (et pendant) Bronze et Fer.
A cet égard, il est assez ironique que Jean-Paul Demoule, véhément pourfendeur de toute hypothèse migrationniste, soit co-signataire de l'étude. Peut-être a-t-il enfin trouvé "où sont passés les Indo-Européens" ?
7 De Bernard - 06/03/2025, 12:55
Bonjour Sylvain, ce qui est sûr effectivement c'est que l'haplogroupe R1b-L21 est associé à l'ascendance du campaniforme. Maintenant on ne peut pas savoir s'il est arrivé d'abord sur le continent ou dans les îles Britanniques.
8 De Claude - 12/04/2025, 13:12
Cette étude démontre peut-être la migration du sous-groupe de Knoviz de la culture des Champs d'Urnes mais je ne vois vraiment pas en quoi elle démontre que ce sous-groupe a importé les langues celtiques en Europe occidentale et dans les îles Britanniques.
A l'époque où ce situe cette migration les Steppiques y sont arrivés, pour l'essentiel avec la variante orientale du Campaniforme depuis un millénaire et demi. Ils ont amené avec eux des dialectes indo-européens, c'est-à-dire la langue des Yamnayas amendée par sa rencontre avec les populations locales, ce qui a abouti aux cultures de la céramique cordée dont les ressortissants se sont eux-mêmes "convertis" au Campaniforme entre Rhin et Danube. L'étude souligne d'ailleurs que la paléogénomique a révélé certaines coïncidences entre Campaniforme et langues présumées celtiques ou proto-celtiques.
Dès lors, s'il est légitime de supposer que le groupe de Knoviz était celtophone, il convient de s'interroger sur la ou les langues indo-européennes parlées par les populations rencontrées les migrants de Knoviz. On ne peut pas démontrer qu'elles n'étaient pas elles-mêmes celtiques ou proto-celtiques il est même probable qu'elles l'étaient de par l'existence des réseaux d'échanges qui caractérisent l'âge du Bronze. Au minimum on peut supposer un degré élevé l'intercompréhension entre migrants et autochtones.
Par ailleurs, cette étude ne se contente pas de faire l'impasse sur un millénaire et demi d'indo-européanisation de l'Europe occidentale, elle semble partir de l'idée que les nouveaux venus imposent systématiquement leur langue. A ma connaissance les Vandales, les Burgondes, les Lombards, les Francs et plus tard les Normands ont laissé leurs noms à des provinces et même à un pays sans que leur langue y ait fait souche.
Conclusion : les Knoviz ont bien migré rien n'indique qu'ils aient apporté avec eux une langue nouvelle.