Harry Fokkens et Franco Nicolis viennent de sortir un nouveau livre sur le campaniforme: Background to Beakers.

Harry Fokkens critique le modèle hollandais de Lanting et Van der Waals. Pour rappel le modèle hollandais donne une continuité typologique entre les vases de la culture cordée et les vases campaniformes. C'est le seul endroit en Europe où l'on avait pu montrer une continuité entre les cultures archéologiques précédentes et la culture campaniforme. Partout ailleurs en Europe le campaniforme est une culture intrusive dans les cultures du néolithique final. Dans ce papier, Harry Fokkens montre que même en Hollande le campaniforme est intrusif. Le néolithique final aux Pays-Bas se partage entre la culture de Vlaardingen à l'ouest et au sud dans le bassin du Rhin et la culture des Sépultures Individuelles: un faciès de la culture cordée, au centre, au nord et à l'est dans les hauteurs. La culture cordée est connue essentiellement par ses tombes, alors que la culture de Vlaardingen est plutôt connue par ses habitats. D'après le modèle hollandais, les gobelets AOO sont censés être dérivés des gobelets de la culture cordée, puis les gobelets campaniformes maritimes sont censés être dérivés des gobelets AOO. Le problème principal vient du fait que la précision des datations C14 ne permettent pas de différentier réellement les gobelets AOO et maritimes. Au néolithique, dans les Pays-Bas, les régions centrales, nord et est sont occupées par la culture des gobelets à entonnoirs (FBC), alors que les régions ouest et sud, sont occupées par la culture de Vlaardingen. Vers 2900 av. JC, la culture cordée remplace la culture FBC, mais pas la culture de Vlaardingen. Cependant, vers 2500 av. JC, des gobelets AOO apparaissent à la fois dans la culture cordée et dans la culture de Vlaardingen. L'apparition de ces gobelets AOO correspond donc à l'apparition de la culture campaniforme sur toute la Hollande. Dans les tombes du centre, du nord et de l'est, les gobelets AOO sont accompagnés par les poignards en silex du Grand Pressigny qui font alors leur apparition. Par contre ni les tumulus, ni les poignards du Grand Pressigny n'apparaissent avec les habitats du sud et de l'ouest. Ainsi l'apparition de la culture campaniforme ne s'accompagne pas d'un changement des traditions des cultures précédentes. Après cette phase de transition qui est très courte (quelques générations), les cultures de Vlaardingen et cordée disparaissent et laissent la place à la culture campaniforme seule qui se développe en un faciès régional: le Veluwe. Ainsi pour Harrry Fokkens, la culture campaniforme commence aux Pays-Bas avec l'apparition des gobelets AOO. C'est une culture intrusive à la fois dans la culture de Vlaardingen et dans la culture cordée.

Christopher Prescott réintroduit la migration dans la diffusion du campaniforme. Au néoltihique, en Norvège, la culture des gobelets à entonnoirs (FBC) s'étend essentiellement dans le sud-est du pays, mais aussi dans le sud-ouest. L'intérieur des terres et la côte ouest sont alors peuplées par des chasseurs-cueilleurs, très orientés vers les ressources marines. Entre 2800 et 2400 av. JC., il y a une influence de la culture cordée essentiellement dans l'est du pays, mais le style de vie des chasseurs-cueilleurs persiste dans une bonne partie du pays. Lors du passage au néolithique final vers 2400 ou 2350 av. JC., il y a apparition d'une nouvelle culture qui unifie tout le pays dans un même élan vers une économie agricole, avec aussi apparition de la métallurgie. Les poignards en silex apparaissent. Ce mouvement apparait d'abord dans le sud-est du pays et s'étend ensuite vers l'intérieur des terres et le long des côtes vers le nord jusqu'au cercle arctique. Ces modifications en Norvège sont contemporaines de la diffusion de la culture campaniforme en Europe et notamment au Jutland, Danemark. L'argument campaniforme n'est pas soutenu seulement par des correspondances chronologiques mais également par l'apparition d'éléments matériels: armatures de flèches, brassards d'archer, ... Il est ainsi raisonnable de voir le Jutland comme la source des transformations qui arrivent en Norvège à cette époque. Sur la base de matériel archéologique et de développements historiques, il est établit que cette influence campaniforme est basée sur des processus migratoires maritimes et l'établissement de réseaux d'alliances. Suite à ces migrations, tout un système de connaissance a été adopté par les populations locales. Ceci peut être déduit des pratiques agricoles, de l'organisation sociale, de l'architecture, du style, de la technologie (taille du silex bifacial, métallurgie du cuivre, navigation), de la cosmologie/idéologie (symboles masculins), du symbolisme (armes, sculpture sur pierre), et du langage (arrivée de l'indo-européen).

Le troisième papier de Van de Noort sur les navigateurs campaniformes est très intéressant. L'analyse de la position géographique du mobilier campaniforme le long des côtes ou des grands fleuves, nous montre que ceux-ci étaient avant tout des navigateurs. Ces navigateurs devaient avoir des compétences spécifiques: connaissance de la mer: courants, houle, côtes, connaissance du comportement des animaux marins: oiseaux, poissons, phoques,... , connaissance de la navigation astronomique qui leur permettaient d'acquérir un pouvoir important en effectuant des voyages lointains qui leur donnaient accès à des relations privilégiées, des objets exotiques, ... , connaissance de la fabrication des bateaux, ... Pour ces raisons, les voyages étaient réservés à une élite de la société, et étaient entourés de pratiques rituelles en relation avec des concepts cosmologiques. Le navigateur devait être également la personne qui comprenait le mieux les différents réseaux d'échange de la société, il devait connaître différentes langues, ou utiliser une langa franca connue par l'ensemble des navigateurs. Une dizaine de bateau de l'âge du bronze ont été découverts en Grande-Bretagne. Ils sont faits de planches de chêne cousues avec des tiges de bois d'if. Voir notamment ici. La reconstruction d'un de ces bateaux a été faite. Voir ici.

Le quatrième papier sur l'analyse des traits dentaires en Suisse Occidentale n'apporte rien de nouveau mais reprend les résultats de la thèse de Jocelyne Desideri. Les auteurs commencent par indiquer une rupture de la localisation des habitats entre le néolithique final (sites lacustres au bord des lacs) et le campaniforme (sites situés à l'intérieur des terres), mais une continuité dans l'utilisation des lieux funéraires. Cette situation reste inexpliquée jusqu'à aujourd'hui, notamment parce que le climat est favorable à des habitations au bord des lacs aux temps campaniformes. Les analyses des traits dentaires ont montré les résultats suivants:

  • Les populations du néolithique moyen représentent un noyau homogène
  • Par contraste le néolithique final montre une plus grande variation de population
  • La phase campaniforme montre un degré d’hétérogénéité certain
  • Les populations du campaniforme sont issues pour partie des populations du néolithique final, mais pour une autre partie de populations étrangères
  • Les populations du Bronze Final ne sont pas issue des populations campaniformes

En conclusion l'analyse des traits dentaires démontre un renouveau partiel de la population à la fin du néolithique et au campaniforme en Suisse occidentale. Ceci suggère donc une certaine mobilité des populations à cette période.

Rien de nouveau non plus dans le papier d'Olivier Lemercier puisque celui-ci reprend les résultats de 10 ans de travail concernant le campaniforme dans le sud-est de la France. Lemercier voit trois phases distinctes:

  • une phase ancienne associée à deux styles de poterie: le maritime ou international constitué de bandes horizontales de hachures dessinées au peigne, au coquillage ou à la cordelette sur des gobelets, et le pointillé géométrique qui rajoute des formes géométriques simples: triangles, chevrons, ... sur des formes plus variées: gobelets mais aussi formes basses: bols, écuelles, ... Les sites sont situés sur la façade méditerranéenne ou le long des fleuves, les habitats sont perchés.
  • une phase moyenne dite régionale qui comprend les styles rhodano-provençal et pyrénéen basée sur les technique de l'incision et de l'estampage sur des formes variées de poteries. Les sites sont beaucoup plus étendus géographiquement.
  • une phase finale qui comprend le style barbelé, les habitats sont à nouveau perchés, les tombes individuelles se généralisent

Dans son interprétation, Olivier Lemercier compare l'arrivée des campaniformes dans le sud-est de la France avec l'arrivée des grecs dans cette même région en 600 av. JC. Ainsi Lemercier associe clairement le campaniforme à l'arrivée d'étrangers dans le sud-est de la France. Pour lui il s'agit d'une colonisation, suivi d'une phase d'acculturation. Cette colonisation comprend trois phases: une première est une phase d'exploration, la seconde phase est une phase d'intensification du commerce entre les nouveaux arrivants et les locaux, la troisième phase correspond au contrôle des nouveaux arrivants sur toute la région environnante. Ainsi Lemercier voit une première phase d'exploration maritime des campaniformes dans la région avec installation sur la façade méditerranénne et le long des fleuves (phase ancienne du campaniforme), la seconde phase est une phase d'acculturation des locaux à la culture campaniforme et correspond à la phase de régionalisation, la troisième phase correspond à la phase finale campaniforme qui montre un influx important venant de l'est de l'Europe, et la réapparition de sites perchés et fortifiés.

Le papier de Janusz Czebreszuk et Marzena Szmyt est intéressant car il décrit une région méconnue du campaniforme: la Pologne. Il y a trois régions campaniformes en Pologne, chacune en liaison avec une autre région campaniforme. La région du nord de la Pologne dérive du campaniforme danois, la Silésie dérive du campaniforme de Bohème et la Petite Pologne dérive du campaniforme de Moravie. Le campaniforme de Petite Pologne est connu uniquement par des tombes. Il est interprété par une migration en provenance de Moravie. Cette culture est à l'origine de la culture du Bronze Ancien de Mierzanowice. Le campaniforme de Silésie a pour substrat la culture cordée. Il laissera ensuite la place à la culture d'Unetice au Bronze Ancien. En Pologne du Nord, les premiers indices de la culture campaniforme apparaissent peu après 2500 av. JC. Comme au Danemark, ce campaniforme est connu essentiellement par des habitats, et dans une moindre mesure par des tombes qui se rencontrent dans les cimetières des périodes précédentes. Le campaniforme ancien est caractérisé essentiellement par une technique de moletage (je suppose au peigne), associé au décor à la cordelette et à l'incision. Ensuite, apparaissent des métopes et les formes des poteries sont moins élancées, plus trapues. Le décor est alors essentiellement fait à base d'incision. La phase récente du campaniforme du Nord de la Pologne est basée sur un décor barbelé (comme dans de nombreuses région de l'Europe, voir notamment le papier de Lemercier sur le sud-est de la France). Dans la partie est, la Kujawy, le campaniforme évolue ensuite vers la culture Iwno qui est une régionalisation du campaniforme (voir à ce sujet le papier de Volker Heyd: When the West Meets the East). Ce faciès évolue en fonction de ces contacts avec la culture d'Unetice. La région de Pologne du nord est traversée par la route de l'Ambre: route de commerce important à travers toute l'Europe. D'autre part, les groupes campaniformes ont coexisté avec des groupes de la culture des Amphores Globulaires entre 2400 et 2200 av. JC. Ces deux cultures ont très peu interagis, comme si il y avait une barrière culturelle entre les deux groupes.

Le papier de Katarzyna Mikolajczak et Radoslaw Szczodrowski étudie le phénomène campaniforme comme l'arrivée d'une nouvelle religion qui se substitue à d'anciennes religions: le phénomène mégalithique dans l'ouest de l'Europe, la culture cordée dans le nord-est et l'incinération en Hongrie. Les religions se caractérisent par des rituels qui nous apparaissent sous la forme du mobilier archéologique issu d'un contexte funéraire. Ces transformations conservent certains traits de l'ancienne religion: utilisation des mégalithes, conservation de l'incinération ou opposition par rapport au cordé: orientation des corps qui passent d'un axe Ouest-Est à un axe Nord-Sud, les hommes qui étaient allongés sur le côté droit, passent sur le côté gauche, et inversement pour les femmes.

Le dernier papier de ce livre écrit par Jan Turek est intéressant car il aborde les relations entre l'estuaire du Tage au Portugal et le Maroc au temps des campaniformes. Selon Turek, l'origine du Campaniforme est soit au Portugal, soit en Hollande. Il avance même la possibilité d'une double origine. Selon Turek, le vase campaniforme de type maritime (bandes horizontales de hachures obliques dessinées au peigne, encadrées par des lignes horizontales) prend ses sources dans l'estuaire du Tage dans la culture chalcolithique de Vila Nova de Sao Pedro dont le site emblématique est la ville fortifiée de Zambujal. Le début du chalcolithique de la région est caractérisée par des poteries cylindriques à base arrondie appelées Copos. Ces poteries sont suivies de poteries dont les décorations sont inspirées de feuilles d'acacia. Ensuite les premiers vases campaniformes décorées au peigne apparaissent. Cependant il n'y a aucun lien génétique prouvé entre les Copos et les vase campaniformes de type maritime. Turek indique que le décor au peigne se retrouve avant le campaniforme dans les culture du néolithique du Sahara. Il fait ainsi le lien avec l'Afrique du nord-ouest. Néanmoins Turek insiste sur le fait que le campaniforme du Maroc prend sa source dans le campaniforme ibérique et non dans le néolithique du Sahara. Il en déduit que le campaniforme de style maritime a pu prendre ses sources dans la communication entre l'Ibérie et l'Afrique du nord-ouest. Cette hypothèse reste cependant à valider. Pour en revenir à l'origine du phénomène campaniforme Turek précise que celui-ci est issu de l'influence et de la rencontre de différentes composantes: le vase de style maritime originaire d'Ibérie et un système symbolique de rites funéraires originaire de Hollande, et basé sur la culture cordée et même avant de la culture Yamnaya.