La thèse de l'origine steppique des statues-menhirs est basée sur trois arguments principaux: les ressemblances stylistiques, la chronologie et la correspondance avec la diffusion des langues Indo-Européennes. Ainsi Marija Gimbutas y voyait l'un des indices de la seconde vague de diffusion vers l'ouest de la civilisation des kourganes.
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Christian Jeunesse vient de publier un chapitre dans un livre intitulé: Les statues-menhirs de Méditerranée occidentale et les steppes. Nouvelles perspectives. Il suppose que les stèles ne sont pas apparues seules et qu'elles coïncident avec d'autres changements archéologiquement visibles.

En Méditerranée Occidentale, la période envisagée couvre la fourchette entre 3800 et 2500 av. JC. avec une attention particulière pour le dernier tiers du 4ème millénaire av. JC correspondant à la période d'apparition des stèles. Cette période correspond aux cultures archéologiques suivantes:
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Les changements qui apparaissent alors en même temps que les stèles dans ces régions peuvent être répartis en trois catégories dans le domaine technologique, des nouveaux objets et des nouvelles idées.

Les changements dans le domaine technologique sont principalement la métallurgie du cuivre et la production de grandes lames en silex. L'émergence ou l'essor de la métallurgie est caractérisé par l'emploi massif de cuivres arséniés qui présentent l'avantage de produire des objets plus robustes. C'est notamment le cas dans la culture ibérique de Los Millares, dans la culture d'Artenac et dans les cultures chalcolithiques du centre et du nord de l'Italie. La période clef est le dernier tiers du 4ème millénaire av. JC. Si certaines de ces régions ont apparemment connu une activité métallurgique plus ancienne, l'essor est sans précédent entre 3300 et 3000 av. JC. D'autre part la même période voit une explosion de la production de grandes lames de silex en général débitées à la pression, que l'on retrouve en masse, brutes ou transformées en poignards, dans les mobiliers des tombes masculines les plus remarquables, et ceci dans une aire qui va de la Grèce à l'ouest de la France et le sud de la péninsule Ibérique.

Cette période correspond également à l'apparition du poignard en cuivre ou en silex, de la hache plate et de l'alène à section quadrangulaire. Ces objets apparaissent en association avec des armatures de flèche en silex, dans les mobiliers funéraires d'Italie ou d'Espagne.
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Ces sépultures témoignent de l'apparition d'une nouvelle idéologie centrée sur la figure du guerrier, la valorisation sociale et symbolique de l'individu et la valorisation symbolique des armes (poignards, haches, hallebardes et arcs). Cette idéologie associée souvent au Campaniforme ou au Cordé, se met en place indiscutablement dès la fin du 4ème millénaire. Elle se retrouve également sur certaines stèles anthropomorphes des Alpes Italiennes:
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Certaines tombes collectives posent les mêmes problèmes d'individualisation des mobiliers comme la tholos d'Alcalar au Portugal ou le dolmen 2 de Puyraveau dans le centre-ouest de la France.

L'auteur affirme que la configuration qui s'installe en Méditerranée Occidentale au moment de l'apparition des stèles anthropomorphes trouve son pendant dans la région des Steppes orientales à la même époque. Tout y est, de l'alliage cuivre-arsenic aux statues-menhirs, en passant par les grandes lames débitées à la pression, la valorisation de l'individu à travers la figure du guerrier et la valorisation symbolique des armes. Cette configuration est en place dès le deuxième quart du 4ème millénaire av. JC. Elle n'émerge pas dans les steppes Nord-Pontiques, mais dans le piémont nord du Caucase, durant la culture de Maikop. Celle-ci apparait vers 3800 ou 3700 av. JC. et couvre ensuite tout le 4ème millénaire. Tous les traits qui s'implantent en Méditerranée occidentale vers 3300 av. JC, y sont représentés:
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La culture de Maikop est aussi le berceau de la Province Métallurgique Circumpontique. Les cultures légèrement plus récentes comme Usatovo, Kemi-Oba ou Yamnaya en dérivent d'une manière ou d'une autre. Les stèles anthropomorphes les plus anciennes appartiennent à la culture de Maikop. Une des particularités de ce complexe culturel est sa propension très marquée à l'expansionnisme. Ainsi l'influence de la culture Yamnaya s'étend sur 6000 km entre l'Altaï et l'Adriatique.
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Au vu des assemblages Italiens et Espagnols décrits plus haut, l'auteur ne voit pas de raison de la repousser largement vers l'ouest. Cette hypothèse repose sur 3 arguments: les analogies du mobilier archéologique, les innovations qui sont en rupture complète avec le substrat de Méditerranée Occidentale, et la chronologie absolue qui penche vers une antériorité du pôle oriental.

Dans le cadre de l'architecture funéraire, si la tombe collective domine dans l'ouest de l'Europe, quelques exemples comme la nécropole tumulaire de Ventabren dans le sud de la France rappellent également la culture de Maikop. Cette nécropole est datée entre 3370 et 2925 av. JC.:
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L'une des tombes de cette nécropole contenait 11 grandes lames en silex.

Il semble ainsi que la thèse de l'origine Steppique des statues-menhirs soit le modèle le plus économique pour expliquer les bouleversements qui ont modifié en profondeur le visage de la Méditerranée Occidentale durant le dernier tiers du 4ème millénaire av. JC.