Le nord de l'Eurasie s'étend de la Scandinavie à l'ouest jusqu'à la Béringie à l'est, et la Sibérie a été peuplée depuis au moins 45.000 ans. Un des lignages paternels les plus fréquents dans cette région est l'haplogroupe N du chromosome Y. Il apparait dans de nombreuses populations dont la culture et la langue sont très différentes. Son haplogroupe frère O présente une distribution très différente, de l'Asie du sud-est à l'Océanie. Leur ancêtre commun (haplogroupe NO) défini par le SNP M214 est distribué également principalement en Asie du Sud-Est. L'ADN ancien permet également d'avoir des informations sur l'haplogroupe N. Il est ainsi prépondérant dans le nord-est de la Chine durant le Néolithique il y a environ 6500 ans, puis décroit graduellement jusqu'à l'Âge du Bronze il y a 2700 ans dans cette même région. On le trouve également en Europe en Hongrie à l'Âge du Fer, et en Russie du nord-ouest dans le bassin de la Dvina au Néolithique Final vers 2500 av. JC. Le processus démographique responsable de la distribution de l'haplogroupe N en Eurasie n'est pas bien élucidé.

Anne-Mai Ilumäe et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Human Y Chromosome Haplogroup N: A Non-trivial Time-Resolved Phylogeography that Cuts across Language Families. Ils ont séquencé le chromosome Y de 43 individus appartenant à l'haplogroupe N. Ces résultats ont été ajouté à 51 séquences du même haplogroupe obtenues dans une étude précédente. 3 séquences appartenant à l'haplogroupe frère O ont également été utilisées pour mieux définir la branche commune de ces deux sous-clades. Les auteurs ont également utilisé 6251 individus appartenant à 56 populations testé sur quelques SNP permettant de discriminer les différentes sous-clades de l'haplogroupe N. Parmi ces individus, 1314 appartiennent à la sous-clade N3 et 323 à la sous-clade N2a. Ces deux sous-clades sont les plus fréquentes de l'haplogroupe N. Parmi ces échantillons, 671 ont été ensuite testés sur 17 marqueurs STR.

Le séquençage à haute couverture des 94 échantillons a permis aux auteurs de raffiner la phylogénie de l'haplogroupe N en identifiant de nouvelles sous-clades (lignes violettes ci-dessous) et en datant les différents nœuds de l'arbre obtenu:
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De plus l'ancien individu de Ust'-Ishim vieux de 45.000 ans a pu être placé sur cet arbre. Le taux de mutation obtenu est de 0,76x10-9 mutation par site et par an. Ce chiffre est similaire à ceux obtenus dans des études précédentes.

La sous-clade N5 définie par le SNP B482 a été déterminée par un échantillon unique d'ascendance mélangée: 80% Européenne et 20% Asie du sud-est. La sous-clade N4 définie par le SNP F2930 est observée au Viet-Nam, Cambodge et Chine, dont des individus anciens. Les sous-clades N3 et N2 sont les plus fréquentes. Elles divergent il y a environ 18.000 ans. L'ancêtre N3 est vieux de 13.000 ans et l'ancêtre N2 de 9000 ans. Ces sous-clades sont bien structurées en Eurasie du Nord. Ainsi N3b-B187 est spécifique à la Sibérie du sud et à la Mongolie, alors que N3a-L708 est plus largement distribué en Eurasie du Nord. N3a1-B211 est particulièrement présent dans la région Volga-Oural et dans l'ouest de la Sibérie. N3a2-M2118 est surtout présent en Yakoutie en Sibérie Centrale. N3a3’6-CTS6967 est lui présent dans l'est de la Sibérie et dans les états Baltiques. La diffusion de ces différents lignages date d'environ 5000 ans. En Europe la diffusion de la sous-clade N3a3-VL29 représente environ un tiers des Estoniens, Lettons et Lituaniens, mais elle est aussi présente chez les Saami, les Karéliens et les Finnois. Parmi les slaves de Biélorussie, Ukraine et Russie, environ trois quart de ceux appartenant à l'haplogroupe N3 appartiennent à la sous-clade N3a3. Il y a cependant une exception parmi les Russes du nord dont les deux tiers appartiennent à la sous-clade N3a4-Z1936. A l'inverse les clades N3a5-B197 et N3a6-B479 sont principalement présents dans l'est de l'Eurasie: près du lac Baïkal pour N3a5-F4205 et en Béringie et dans l'est de la Sibérie pour N3a5-B202. N3a6 prédomine chez les Nanai du bassin de la rivière Amour.
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La sous-clade mineure N2a2-B520 est représentée en Chine, Viet-Nam et Japon. La sous-clade principale N2a1-B523 s'est diversifiée il y a environ 4700 ans. Sa distribution couvre l'ouest et le sud de la Sibérie, la péninsule de Taïmyr et la région Volga-Oural avec une fréquence comprise entre 10 et 30%. N2a1 se sépare en trous sous-clades: N2a1-B478 en Sibérie, N2a1-B525 en Turquie, Arabie et Afghanistan. La branche Européenne: N2a1-B528 se retrouve dans la région Volga-Oural.

En Eurasie, de manière générale, les haplogroupes du sud (H, C et O) montre une divergence plus ancienne que les haplogroupes du nord. De manière équivalente la sous-clade N4 (d'Asie du sud-est) est plus ancienne que les autres sous-clades de N: N2a et N3 (du nord de l'Eurasie). L'âge de dispersion de la plupart de ces sous-clades autour de 5000 ans coïncide avec un réchauffement climatique important dans le nord de l'Eurasie. Quoique les processus démographiques et socio-économiques qui ont eu lieu durant l'Âge du Bronze dans les Steppes sont principalement reliés à la diffusion des langues Indo-Européennes, l'expansion de la famille linguistique Ouralique a été associée à des événements qui ont eu lieu dans les steppes boisées plus au nord. Ainsi la diffusion de l'haplogroupe N dans l'ouest de l'Eurasie pourrait être liée à cette expansion, notamment celle des langues Finno-Ougriennes.