La lignée Homo sapiens prend son origine probablement en Afrique il y a environ 500.000 ans. Le fossile le plus ancien est celui de Jebel Irhoud au Maroc daté d'environ 300.000 ans. Les différents fossiles d'Homo sapiens anciens ne montrent pas une progression linéaire, mais plutôt une forte diversité morphologique et une diffusion géographique importante. Associées aux récentes preuves archéologiques et génétiques, ces données suggèrent une origine de notre espèce dans plusieurs populations Africaines séparées géographiquement, mais échangeant occasionnellement des flux de gènes. Ce concept de multi-régionalisme inclut probablement également une hybridation avec des populations humaines archaïques. Ces différentes populations ont pu se différencier à cause de frontières écologiques comme les forêts tropicales ou les zones désertiques, et les flux de gènes se produire lors des changements climatiques. Ce point de vue remet en cause une origine d'Homo sapiens dans une région unique et bien localisée en Afrique, et implique une forte complexité des processus mis en œuvre pour l'émergence de notre espèce.

Eleanor Scerri et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Did Our Species Evolve in Subdivided Populations across Africa, and Why Does It Matter?. Ils analysent les données anthropologiques, archéologiques, génétiques et écologiques afin de mieux discerner les populations humaines du Pléistocène en Afrique. Ainsi les données morphologiques caractéristiques d'Homo sapiens sont débattues. Elles ont longtemps impactées les interprétations des origines d'Homo sapiens en fonction de l'inclusion ou l'exclusion de tel ou tel fossile dans la lignée de notre espèce. Ainsi la forme crânienne des hommes actuels est caractérisée par une combinaison de motifs comme la petitesse et la gracilité de la face, l'existence d'un menton et la forme globulaire de la boîte crânienne. Cependant ces caractères sont apparus de manière indépendante (en mosaïque) dans la lignée humaine. Ainsi le fossile de Jebel Irhoud montre une face similaire aux hommes contemporains. Cependant sa boîte crânienne a une forme plus allongée typique des espèces plus archaïques. Les autres anciens fossiles d'Homo sapiens comme Florisbad en Afrique du Sud (260.000 ans), Omo Kibish (195.000 ans) et Herto (160.000 ans) tous les deux en Éthiopie, sont morphologiquement divers. Cette diversité a conduit certains chercheurs à proposer de classifier ces fossiles dans des espèces distinctes d'Homo sapiens. Cependant les auteurs de ce papier préfèrent inclure tous ces anciens fossiles dans la diversité d'Homo sapiens. En effet, l'ensemble des caractéristiques des hommes actuels n'apparait pas dans les fossiles avant 100.000 à 40.000 ans. Cela suggère que l'évolution a progressé indépendamment dans différentes régions dans des populations souvent isolées pendant des millénaires soit par distance soit par des barrières écologiques comme les forêts tropicales ou les zones arides. Enfin les découvertes d'Homo naledi en Afrique du Sud, daté autour de 335.000 ans et de Homo rhodesiensis à Kabwe daté entre 300.000 et 125.000 ans, montrent que d'autres espèces d'hommes habitaient en Afrique au même moment et ouvrent la possibilité d'une hybridation entre Home Sapiens et une espèce archaïque en Afrique.

En Afrique, l'abandon des grands outils et l'amélioration des techniques sur le noyau lithique et sur l'emmanchement marquent une profonde reconfiguration technologique de la culture des hommes. Ces changements conduisent à l'apparition du « Middle Stone Age » qui semble apparaître à travers toute l'Afrique un peu près à la même période: il y a 300.000 ans à jebel Irhoud au Maroc et à Olorgesailie en Afrique de l'Est, et il y a 280.000 ans à Florisbad en Afrique du Sud. Les dates sont plus récentes en Afrique de l'Ouest (180.000 ans), mais la région reste peu fouillée. Clairement des distinctions géographiques apparaissent dans la culture du « Middle Stone Age ». Une telle régionalisation est typiquement reliée à l'émergence de la cognition moderne. Elle est cependant liée également à des variables démographiques, et à une adaptation aux conditions environnementales. Les similarités dans ces cultures régionales ont pu être produites par des contacts occasionnels entre les populations, ou par convergence de l'adaptation aux conditions écologiques.

Les études génétiques sur l'origine d'Homo sapiens, ont analysé la diversité des populations Africaines. La plupart de ces études ont utilisé des modèles démographiques simples négligeant ou simplifiant la structure des différentes populations. Ces études ont montré que la population Khoe-San d'Afrique du Sud montre la plus grande diversité génétique et présentant une divergence datée entre 300.000 et 150.000 ans. Certains auteurs en ont déduit une origine unique d'Homo sapiens en Afrique du Sud. Cependant, des mouvements de populations récents comme l'expansion Bantoue ou des migrations de retour vers l'Afrique de populations Eurasiennes, ont obscurci la signature des anciens processus démographiques. L'ADN ancien peut fournir plus d'informations. Ainsi des études récentes suggèrent l'existence d'une structure génétique importante en Afrique. Cependant des données plus anciennes sont nécessaires pour obtenir plus d'informations. Elles sont cependant difficiles à obtenir à cause des environnements tropicaux peu propices à la conservation de l'ADN.

Les données précédentes indiquent qu'Homo sapiens a évolué dans des populations fortement structurées, localisées dans de nombreuses régions d'Afrique. Les degrés et les mécanismes de cette structure sont liés aux variabilités environnementales temporelles et spatiales. La notion de refuge a été mise en avant comme catalyseur des changements évolutifs, et a provoqué certainement une structure de la population. Certaines régions actuellement humide ont subi dans le passé des périodes de grande aridité. En même temps que la mousson s'étend ver le nord, le Sahara se contracte et des réseaux de lacs et rivières se forment à travers l'Afrique du Nord. Le climat varie fortement et des périodes humides et arides se succèdent de manière asynchrone dans différentes régions d'Afrique. L'étude de la faune et de l'apparition de certaines espèces indiquent une influence du climat. Cela permet d'imaginer comment les populations humaines se sont structurées dans le passé dans certaines régions géographiques et périodes de temps.