David Anthony vient de publier un papier intitulé: Archaeology, Genetics, and Language in the Steppes: A Comment on Bomhard. Il commente l'hypothèse de Allan Bomhard qui suggère que le Proto-indo-européen est issu d'une interférence entre un substrat du nord-ouest du Caucase et une langue dominante pré-Ouralienne. Il s'appuie pour cela sur les derniers résultats d'ADN ancien.

Depuis 2015 il est possible d'analyser le génome de centaines de squelettes préhistoriques. D'autre part chaque individu porte l'ADN hérité de centaines d'ancêtres. Ainsi le génome de quelques individus peut révéler l'histoire de populations substantielles, et le génome d'un grand nombre d'individus peut identifier des migrations et révéler leur structure démographique et décrire leur réseau de reproduction.

Un réseau de reproduction qui a contribué à environ 50% de l'ascendance des individus de la culture Yamnaya est celui des chasseurs-cueilleurs de l'est (EHG). Les premiers individus de ce réseau identifiés par leur génome sont deux Mésolithiques du site de Lebyazhinka IV près de Samara sur la rive gauche de la Volga et du site de Oleni Ostrov en Russie près de la mer Baltique. Le réseau EHG s'étend de l'Oural à la mer Baltique et descend les vallées de rivières dans les steppes du nord des mers Noire et Caspienne. Le réseau EHG est un survivant occidental du réseau de reproduction des Anciens Nord Eurasiens (ANE) identifié chez les individus de Mal'ta vieux de 24.000 ans et de Aftonova Gora vieux de 16.000 ans près du lac Baïkal en Sibérie. Ce réseau s'est diffusé en Amérique du Nord vers l'est et dans les steppes Ponto-Caspienne et les forêts de la Baltique vers l'ouest. Le réseau ANE représente environ 70% de l'ascendance du réseau EHG. Ce niveau d'ANE dans le réseau EHG le distingue du réseau WHG des chasseurs-cueilleurs de l'ouest qui s'étend entre l'Atlantique et l'Europe Méditerranéenne après -15.000 ans, et qui ne comprend pas d'ascendance ANE.

La frontière entre les réseaux EHG et WHG émerge vers 7000 av. JC. dans une région de mélange génétique de l'ouest de la Baltique jusqu'à la Roumanie et l'Ukraine. Les cimetières Mésolithiques et Néolithiques de la vallée du Dniepr contiennent des individus à dominance EHG mais avec une part d'ascendance WHG. A l'est du Dniepr, le réseau EHG n'est pas mélangé avec le réseau WHG. Il est dominant parmi les chasseurs-cueilleurs et les pêcheurs qui occupent les vallées qui traversent les steppes Ponto-Caspiennes avant la période Yamnaya.
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L'autre moitié de l'ascendance Yamnaya est composée par l'ascendance des chasseurs-cueilleurs du Caucase (CHG). Le réseau CHG se trouve dans les montagnes du Caucase, l'est de l'Anatolie et l'ouest du plateau Iranien. Comment et quand les populations CHG sont entrées dans les steppes et ont contribué pour moitié à l'ascendance Yamnaya est une question ouverte et cruciale. Les sites archéologiques dans lesquelles l'ascendance CHG a été identifiée en premier sont la sépulture Paléolithique de Satsurblia en Géorgie de l'ouest datée de 11.200 av. JC., la sépulture Mésolithique de la grotte Kotias également en Géorgie occidentale datée entre 7800 et 7500 av. JC., la sépulture Mésolithique de la grotte Hotu située dans le nord de l'Iran au sud-est des côtes de la mer Caspienne et datée entre 9100 et 8600 av. JC. et les sépultures Néolithiques de Ganj Dareh dans l'ouest de l'Iran datées de 7000 av. JC. Un signal de CHG dilué apparait d'autre part sur le site de Tepecik-Çiftlik en Anatolie Centrale vers 6500 av. JC.

Ce mélange EHG-CHG dans la population Yamnaya semble supporter l'hypothèse linguistique de Bomhard qui suggère un mélange nord-sud entre une langue pré-Ouralienne facilement située dans la région géographique du réseau EHG et une langue Caucasienne située dans la région du réseau CHG.

La culture de Maïkop est souvent regardée comme la source probable de l'ascendance CHG dans la culture Yamnaya. Cependant la réalité est différente. Récemment les études d'ADN ancien ont rapporté une proportion d'ascendance fermier Anatolien entre 10 et 18% dans la culture Yamnaya. Le réseau des fermiers Anatoliens a évolué en Anatolie occidentale entre 7500 et 5500 av. JC. avant de migrer vers la Grèce, la Crète et le reste de l'Europe, mais aussi vers l'est autour de 5000 av. JC. jusqu'en Iran occidental. L'ascendance fermier d'Anatolie détectée chez les individus de la culture Yamnaya a pu arriver à travers le Caucase ou à travers l'Europe du sud-est. Le papier de Wang et al. (2018) suggère que l'origine de l'ascendance des fermiers d'Anatolie dans la culture Yamnaya vient d'Europe car elle inclut 20% d'ascendance WHG. On retrouve cette proportion de WHG dans les individus de la culture des amphores globulaires, mais pas dans les individus du Caucase. Ainsi cette légère trace d'environ 3% de WHG dans les individus de la culture Yamnaya suggère que l'ascendance fermier d'Anatolie dans la population Yamnaya vient plutôt d'Europe et non du Caucase. Si cette hypothèse est correcte, la source de CHG dans les individus de la culture Yamnaya est issue d'une population très peu mélangée avec l’ascendance des fermiers d'Anatolie. Or cette source de CHG non mélangée disparaît dans le Caucase et dans l'ouest de l'Iran après 5000 av. JC.

D'après le papier de Wang et al., les ancêtres de la population de la culture de Maïkop arrivent du sud probablement de Géorgie occidentale ou d'Abkhazie à partir de 4500 av. JC. Le grand tumulus de Maïkop date de 3600 av. JC. dans la vallée de la Belaya un affluent du fleuve Kouban qui se jette dans la mer d'Azov. Tous les individus de la culture de Maïkop ont une proportion de CHG qui varie de 28 à 60%, mais ils ont également entre 30 et 40% d'ascendance fermier d'Anatolie. Ce mélange est trop riche en fermier d'Anatolie pour que les individus de la culture de Maïkop soient la source du CHG des individus de la culture Yamnaya. Ainsi la culture de Maïkop n'a pas contribué génétiquement à la formation de la culture Yamnaya, bien que sa contribution en innovation était probablement importante notamment en ce qui concerne la métallurgie: moules à double face, poignards à soie, haches et cuivre arsénié.

Ainsi la variété de CHG qui constitue plus de la moitié de l'ascendance Yamnaya vient d'une population plus ancienne (Mésolithique ou Néolithique Ancien) non mélangée avec l'ascendance fermier d'Anatolie. Cette population a dû entrer dans les steppes depuis le nord-ouest de l'Iran et l'Azerbaïdjan à une date plus ancienne que 5000 av. JC. probablement à travers la plaine située entre les montagnes du Caucase et la mer Caspienne. Ces individus ont du être attirés par la région située au nord de la mer Caspienne dans le delta de la Volga riche en ressources: esturgeons, troupeaux d'onagres, de chevaux et de saïgas. Malheureusement nous n'avons pas encore d'ADN ancien d'individus situés dans cette région vers 5500 av. JC. L'archéologie nous indique qu'il y a de nombreux camps de chasseurs-cueilleurs pêcheurs datés entre 6200 et 4500 av. JC.

A Samara, situé à 800 km au nord de la Caspienne au bord de la Volga, un chasseur-cueilleur daté autour de 5500 av. JC. contient uniquement une ascendance EHG. Le réseau CHG ne s'est pas encore diffusé jusque là à cette époque. Cependant le laboratoire de David Reich de Boston possède le génome d'une trentaine d'individus issus de trois sites archéologiques (Khlopkov Bugor, Khvalynsk et Ekaterinovka) dans la région de la Moyenne Volga entre les villes de Saratov et de Samara et datés entre 5000 et 4000 av. JC. Ils ont une diète riche en poissons. Aujourd'hui seuls le génome de trois individus de Khvalynsk datés autour de 4500 av. JC., sont publiés. Ils sont composés d'un mélange d'ascendances EHG et CHG sans aucune trace d'ascendance fermier d'Anatolie. Leur proportion de CHG varie de 20 à 30%. La plupart des hommes sont de l'haplogroupe R1b avec quelques R1a, Q1a, J et I2a2. D'après le papier de Wang et al., ce réseau de reproduction se diffuse jusqu'au nord du Caucase vers 4300 av. JC. comme sur les sites de Progress 2 et de Vonyuchka. Ils ont un peu plus d'ascendance CHG.

Le premier camp de chasseurs-cueilleurs-pêcheurs qui apparaît dans l'estuaire de la Volga date de 6200 av. JC. Il pourrait représenter le début de la migration de la population CHG venue du sud du Caucase. Après 5000 av. JC., les premiers animaux domestiques apparaissent dans la région. Les gènes CHG et les animaux domestiques se seraient alors propagés vers le nord avant de se mélanger avec le réseau EHG et de former la culture de Khvalynsk autour de 4500 av. JC. qui pourrait représenter la plus ancienne phase du proto-indo-européen. Ce réseau de reproduction n'héberge pas encore d'ascendance fermier d'Anatolie.

Les populations Énéolithiques des bords du Dniepr ne possèdent pas d'ascendance CHG, bien que leurs haplogroupes du chromosome Y soient en majorité R1b avec cependant quelques I2a2 caractéristiques du réseau WHG. Ils ne se sont donc pas mélangés avec les populations de la région de la Volga bien que l'archéologie montre des liens évidents entre ces deux régions.

Vers 5000 av. JC., des villes permanentes d'agriculteurs se situent dans le bassin du Danube et les Balkans non loin des steppes Pontiques. Les grandes villes de la culture Cucuteni-Tripolye s'étendent à l'est du bassin des Carpates non loin des côtes de la mer Noire. Sur 48 individus de cimetières Néolithiques ou Chalcolithiques de Bulgarie ou de Roumanie dont on a analysé le génome, seuls trois ont une ascendance des steppes. Ils sont issus de la région de Varna. L'un d'entre eux est le fameux homme recouvert d'or de la nécropole de Varna. Mais sa proportion d'ascendance des steppes est très faible. Les deux autres sont issus des sites archéologiques de Varna et Smyadovo. Ils ont une ascendance récente des steppes (grands-parents ou arrière grands-parents) avec un mélange EHG-CHG typique de la région de Khvalynsk/Progress-2 et non pas des rives du Dniepr, pourtant situées plus proche. Ces trois individus font partie de l'élite des familles d'agriculteurs. Cependant l'immense majorité des agriculteurs de Bulgarie ou de Roumanie n'ont pas d'ascendance de steppes, bien que des échanges aient lieu entre les régions comme le montre l'archéologie.

Vers 4300 et 4200 av. JC., les villes d'agriculteurs de cette région s'effondrent. La culture Cernavoda I s'installe à leur place. Elle montre un mélange des coutumes agricoles et des steppes. Anthony pense que cette date de 4300 av. JC. sépare les locuteurs du proto-indo-européen ancien (pré-Anatolien) des populations Yamnaya qui parlaient probablement un proto-indo-européen récent. Cette transition marque la fin de la barrière génétique entre les réseaux de reproduction des steppes et des fermiers du Néolithique. Le plus ancien individu des steppes avec de l'ascendance des fermiers est un individu de la culture Sredni Stog du site archéologique de Aleksandriya daté entre 4000 et 3974 av. JC. Il montre un mélange génétique formé de 80% d'ascendance des steppes et 20% d'ascendance des fermiers. Son haplogroupe du chromosome Y est R1a-Z93 similaire à celui des individus de la culture Sintashta plus tardive. Un autre individu du site de Dereivka daté entre 3600 et 3400 av. JC. montre le même mélange génétique (80% des steppes et 20% fermiers). Ainsi la proportion de 3% de WHG détectée dans la population Yamnaya peut également venir de cette région des rives du Dniepr, sans faire appel à un mélange génétique avec une population proche de celle de la culture des amphores globulaires.