La Crète est peuplée de manière substantielle depuis le début du Néolithique. Sur le site archéologique du palais de Knossos, les premières occupations humaines remontent à la fin du Néolithique. En Crète de nombreuses recherches ont porté sur la transition entre la fin du Néolithique et l'Âge du Bronze, notamment sur l'apparition de la culture Minoenne. La fin de l'Âge du Bronze, qui correspond également à la fin de la période Minoenne est particulièrement bien étudiée en Crète. A cette époque de nombreux sites sont abandonnés dont tous les sites palatiaux, et sur d'autres du mobilier caractéristique de la Grèce continentale Mycénienne apparait. C'est également à cette époque que des inscriptions en linéaire B apparaissent en Crète, et remplacent les inscriptions en linéaire A. Les causes de l'effondrement de la culture Minoenne sont largement débattues et divergent entre des causes naturelles (tremblement de terre, éruption volcanique, ...) et des invasions (peuples de la mer, ...). Il y a également des débats concernant l'arrivée des Mycéniens en Crète entre les partisans d'une invasion violente et l'arrivée d'une population sur une île partiellement dépeuplée.

Michael Richards et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Finding Mycenaeans in Minoan Crete? Isotope and DNA analysis of human mobility in Bronze Age Crete. Ils ont étudié la mobilité des populations Crétoises notamment à la fin de la période Minoenne à partir de l'analyse des isotopes du carbone, de l'azote du strontium et du soufre, et de l'ADN ancien. L'analyse des valeurs de ces isotopes sur la faune permet d'évaluer les valeurs locales, et donc par la suite d'identifier les individus humains non locaux, et donc migrants. L'ADN mitochondrial séquencé sur huit anciens individus a permis également d'identifier des haplogroupes typiques de la région ou exogènes. La figure ci-dessous identifie les différents sites archéologiques où les analyses ont été menées:

2022_Richards_Figure1.jpg, août 2022

La valeur moyenne des isotopes du strontium pour la faune est de 0.708889 ± 0.000214 (1σ):

2022_Richards_Figure2.jpg, août 2022

Celle des isotopes du soufre est de 12.0 ± 2.4‰ (1σ):

2022_Richards_Figure3.jpg, août 2022

Ces valeurs sont très similaires pour la faune d'une région à une autre de la Crète, malgré des différences dans la géologie. Les auteurs attribue cela aux effets des embruns marins et des pluies qui ont tendance à homogénéiser les valeurs locales de ces isotopes. Ainsi il est particulièrement notable que 90 restes d'animaux sur 93 et 49 restes humains sur 52 ont une valeur des isotopes du strontium inférieure à la valeur marine qui est de 0.7092. Cela indique que l'effet des embruns marins là où le strontium marin a été déposé dans les sols n'était pas suffisamment important pour submerger les contributions au strontium ou au soufre du sol provenant du substratum rocheux sous-jacent. Et au lieu de cela, la plupart des valeurs des isotopes de strontium et de soufre en Crète sont une combinaison d'apports d'embruns / précipitations et du substrat géologique dominant, les calcaires. Ces résultats suggèrent que les valeurs isotopiques supérieures à la valeur marine correspondent à des restes organiques non locaux.

Trois animaux ont une valeur des isotopes du strontium supérieure à la valeur marine. Il s'agit d'une dent de bœuf issue du site de Zoniana dans le centre de la Crète, une dent de cochon issue du site de Nerokourou et une dent de mouton issue du site de Kastelli, ces deux derniers étant situés dans l'ouest de la Crète. Ce sont probablement des animaux qui ont été importés en provenance d'une région où les valeurs isotopiques du strontium sont plus élevées qu'en Crète, comme la Grèce continentale ou l’Égypte.

Les auteurs ont mesuré les isotopes du strontium pour 52 restes humains issus de 9 sites archéologiques de Crète datés du Néolithique et de l'Âge du Bronze, et ceux du soufre pour 72 restes humains issus de quatre sites archéologiques datés également du Néolithique et de l'Âge du Bronze.

La majorité des restes humains ont une valeur ds isotopes du strontium inférieure à la valeur marine et proche des valeurs mesurées pour la faune locale. Il y a cependant quelques individus dont la valeur est supérieurs à la valeur marine. Il s'agit tous d'individus du site d'Armenoi:

2022_Richards_Figure4.jpg, août 2022

Les résultats sont similaires pour les valeurs des isotopes du soufre. Ils sont tous compatibles avec la faune locale à l'exception là encore de quelques individus du site d'Armenoi dont les valeurs sont plus élevées:

2022_Richards_Figure5.jpg, août 2022

En conclusion la très grande majorité des individus analysés dans cette étude sont d'origine locale à la Crète. Cependant quelques individus de la nécropole d'Armenoi datée de la fin de la période Minoenne, semblent d'origine étrangère. Les valeurs isotopiques du carbone et de l'azote pour ses individus montrent qu'ils avaient une diète principalement terrestre et donc sans consommation importante d'animaux marins qui aurait pu également influencer leurs valeurs du strontium et du soufre.

Les résultats des analyses d'ADN sont de mauvaise qualité, mais des résultats mitochondriaux ont pu être néanmoins obtenus pour quelques individus. Les haplogroupes sont typiques de la région de la Crète: H, T2b2, R1, U5a1, HV et H59. Quatre individus du site d'Armenoi partagent le même haplogroupe H59 et sont probablement reliés maternellement.

En résumé, les auteurs de cette étude ont identifié très peu de mouvement de population en Crète à l'exception de quatre individus du site d'Armenoi datés de la fin de période Minoenne. De manière intéressante une des sépultures de cette nécropole est accompagné d'une inscription en linéaire B. Malheureusement, les valeurs isotopiques n'ont pu être obtenues pour cet individu. Cette écriture est inconnue en Crète avant la fin de la période Minoenne, mais est fréquente en Grèce continentale à la fin de l'Âge du Bronze, sur les sites Mycéniens. Il est donc probable que certains individus de cette nécropole soient des migrants venus de Grèce continentale, en accord avec les résultats isotopiques de cette étude. De manière intéressante une étude précédente avait montré qu'une femme de cette nécropole d'Armenoi a un profil génomique distinct des autres individus de Crète, et plutôt similaire aux individus de sites Mycéniens de Grèce continentale. Elle possède notamment une ascendance des steppes qui est absente dans la population Crétoise.