Le processus de néolithisation en Europe a stimulé un grand débat archéologique depuis des décennies. La question est de savoir si le passage à une économie d'agriculture et d'élevage s'est fait par migration ou par acculturation. Cependant plusieurs études génétiques sur différentes populations préhistoriques européennes indiquent un schéma plus complexe. Le processus de néolithisation semble varier d'une région à l'autre. Cependant, ces études montrent que la population pré-néolithique de chasseurs-cueilleurs était fortement homogène génétiquement, au moins en ce qui concerne l'ADN mitochondrial.

L'ADN mitochondrial des populations néolithiques méditerranéennes montrent qu'elles possèdent des lignages que l'on retrouve dans les populations contemporaines de ces mêmes régions (haplogroupes J et T) et d'autres lignages qui ont disparus aujourd'hui (haplogroupe N1a). La composition génétique des populations de chasseurs-cueilleurs de la péninsule Ibérique possède des haplogroupes que l'on retrouve dans les populations contemporaines, suggérant une certaine forme de continuité depuis cette époque.

Concepcion de-la-Rua vient de publier un papier intitulé: Ancient DNA in the Cantabrian fringe populations: A mtDNA study from Prehistory to Late Antiquity. Elle présente une synthèse de différentes études d'ADN mitochondrial relatives à des populations allant du paléolithique à l'antiquité dans le nord de l'Espagne. Un total de 226 échantillons appartenant à 14 sites archéologiques de Cantabrie, de Navarre et du Pays Basque sont analysés et comparés à des populations actuelles d'Europe et du Moyen-Orient. Un seul échantillon est nouveau dans cette étude: un squelette Magadalénien d'une femme de la grotte El Miron en Cantabrie. Les régions de contrôle HVR1 et HVR2 ont été testés ainsi que les principaux marqueurs de la région codante par RFLP pour discriminer les haplogroupes.

Parmi tous ces échantillons, 5 sont des chasseurs-cueilleurs Magdaléniens ou Mésolithiques: El Miron (16.700 av. JC.), Errala (11.000 av. JC.), La Pasiega, La Chora (5350 av. JC.) et Aizpea (5550 av. JC.). Il y a 43 fermiers néolithiques issus de 4 sites différents: Los Cascajos, Paternanbidea, Marizulo et Fuente Hoz (voir l'article au sujet du papier de Hervella, 2012). 115 échantillons viennent de 4 sites chalcolithiques: Pico Ramos, Urratxa III, San Juan ante Portam Latinam et Longar. Enfin 63 échantillons viennent du site antique de Aldaieta au Pays Basque.
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Les résultats des chasseurs-cueilleurs donnent 3 échantillons de l'haplogroupe H et 2 échantillons de l'haplogroupe U. Les résultats obtenus en Europe Centrale ont montré que 100% des échantillons chasseurs-cueilleurs étaient de l'haplogroupe U. Ici, dans le nord de l'Espagne, on trouve également une forte proportion d'haplogroupe H. Notamment l'échantillon de El Miron vieux de 16.700 ans est de l'haplogroupe H. Behar en 2012 a estimé l'âge de l'ancêtre commun de H à 13.000 +/- 1000 ans, cependant Qiaomei Fu, 2013 a estimé l'âge de l'haplogroupe H entre 20.000 et 24.000 ans en calibrant le taux de mutation mitochondrial à partir d'échantillons d'ADN ancien. Ces résultats restent donc compatibles.

Les résultats des fermiers néolithiques ont été présentés dans le papier de Hervella, 2012. Ils ont donné les valeurs suivantes: H: 44,2%, U: 32,6%, K: 9,30%, J: 4,65%, HV: 2,33%, I: 2,33%, T: 2,33% et X: 2,33%. Si l'on retrouve bien encore une forte proportion d'haplogroupes H et U, de nouveaux haplogroupes apparaissent: K, J, T, HV, I et X indiquant ainsi un influx génétique en provenance du Proche-Orient.

Une Analyse Multidimensionnelle basée sur la fréquence des haplogroupes des différentes populations étudiées, a été réalisée. Le résultat est indiqué dans la figure ci-dessous:
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Les chasseurs-cueilleurs Scandinaves et d'Europe Centrale se situent à part (sur le côté gauche de la figure) des autres populations à cause de leur forte proportion d'haplogroupe U. Les chasseurs-cueilleurs de Cantabrie se situent avec les populations contemporaines à cause de leur forte proportion d'haplogroupe H. Les fermiers néolithiques de Hongrie, d'Europe Centrale et de l'est des Pyrénées se situent également à part dans le bas de la figure à cause de leur proportion relativement élevée d'haplogroupe N. Ces résultats suggèrent un impact génétique différent des fermiers néolithiques du Proche-Orient dans les régions d'Europe Centrale, Méditerranéenne et de Cantabrie. Afin d'obtenir une meilleure résolution de l'impact du néolithique et de la fin du néolithique sur les populations contemporaines, les auteurs ont refait une Analyse Multidimensionnelle en supprimant les populations de chasseurs-cueilleurs:
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Cette fois-ci la première composante sépare les populations avec une haute fréquence de l'haplogroupe N. Si on considère les populations de Cantabrie, on s'aperçoit que les néolithiques anciens sont éloignés des chalcolithiques indiquant ainsi un changement dans le pool génétique en Cantabrie entre le début et la fin du néolithique. Une étude précédente (Brandt, 2013) avait mis en lumière le rôle de l'influence de la culture campaniforme en provenance d'Ibérie, dans le pool génétique d'Europe Centrale. Effectivement la population des campaniformes d'Europe Centrale (BBC) se situe proche des populations contemporaines. Cependant elle est éloignée de la population chalcolithique de Cantabrie. Ceci démontre la complexité des processus en jeux en Europe à la fin du néolithique. Enfin la population antique est plus proche des populations contemporaines que les populations préhistoriques suggérant une nouvelle restructuration des fréquences des haplogroupes mitochondriaux en Cantabrie après le néolithique.