Le nord-est de la Sibérie est une des régions du monde les plus reculées avec des conditions environnementales extrêmes. Elle s'étend de la péninsule de Taïmyr à l'ouest, à l'océan Pacifique à l'est et de la frontière entre la Chine et la Russie au sud, à l'océan Arctique au nord. Elle héberge aujourd'hui des douzaines de groupes ethniques divers. La présence humaine la plus ancienne est donnée par le site de Yana RHS daté d'environ 31.600 ans. Cette population disparaît de la région durant le dernier maximum glaciaire entre 23.000 et 17.500 ans.
Martin Sikora et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: The population history of northeastern Siberia since the Pleistocene. Ils ont séquencé le génome de 34 squelettes de la région datés entre 31.600 et 600 ans dont deux individus du site de Yana RHS, un individu du site de Duvanny Yar daté de 9800 ans, 14 individus des sites de l'extrême est Sibérien de Ekven et Uelen datés entre 3000 et 2000 ans, six individus de la grotte de Devil’s Gate datés de 7600 ans, 10 individus de la région du lac Baïkal (Ust’Belaya) et un individu récent de la région de Yana:
Les individus de Yana RHS représentent la plus ancienne population de la région, nommée Anciens Nord Sibériens (ANS). Ces deux individus sont des hommes qui appartiennent à l'haplogroupe mitochondrial U et à l'haplogroupe du chromosome Y: P1, ancestral aux haplogroupes Q et R:
La statistique f3 montre une large affinité génétique entre les Anciens Nord Sibériens et des populations actuelles du Nord de l'Eurasie et d'Amériques, contrairement aux anciens individus de Sunghir et Tianyuan qui se rapprochent respectivement uniquement des populations de l'ouest de l'Eurasie et de l'est de l'Asie. Cependant les anciens individus de Yana sont plus proches de ceux de Sunghir que de celui de Tianyuan, bien que situés au nord-est de la Sibérie. Un modèle démographique indique que que la population ANS peut être considérée comme un population Ancien Ouest Eurasienne qui a reçu 29,2% d'ascendance d'une population Ancienne Est Asiatique il y a environ 39.000 ans:
La population de Yana possède également environ 2% d'ascendance de Néandertal, située cependant dans des segments d'ADN plus longs que la population actuelle, de manière analogue aux anciens Eurasiens du même âge.
Parmi tous les anciens individus, la population de Yana a le plus d'affinité génétique avec le garçon de Malt'a, vieux de 24.000 ans, et identifié aux Anciens Nord Eurasiens (ANE). En fait le lignage ANE peut être considéré comme un descendant du lignage ANS.
D'autre part les deux individus de Yana ne sont pas de proches parents bien qu'ils aient les mêmes haplogroupes mitochondrial et du chromosome Y. Il n'y a pas non plus de trace de consanguinité dans leur ADN et leur population effective est estimée à environ 500 individus, ce qui est remarquablement élevée pour un site aussi reculé. Ce résultat rappelle celui obtenu sur le site de Sunghir. Les populations de l'époque avaient ainsi un large réseau d'échange de partenaires.
Pendant le dernier maximum glaciaire, la présence humaine disparaît. Elle réapparaît dans la région vers 18.000 ans avec une industrie lithique différente de celle précédente. Cette nouvelle population est à l'origine des ancêtres des Amérindiens. L'individu de Duvanny Yar daté de 9.800 ans représente cette population appelée Anciens Paléosibériens (AP).
L'Analyse en Composantes Principales indique une forte proximité génétique entre les Anciens Paléosibériens (Kolyma_M) et les populations Koryaks, Itelmen, Chukchis et Amérindiennes actuelles:
Ces résultats sont confirmés par la statistique f3 et par les haplogroupes mitochondrial: G1b et du chromosome Y: Q1a. Les modèles démographiques montrent que l'individu de Duvanny Yar est issu d'un mélange génétique entre les Anciens Est Asiatiques (75%) et les Anciens Nord Sibériens (25%), de la même façon que les Amérindiens qui ont néanmoins un peu mois d'ascendance AEA (63%). Cependant les Anciens Paléosibériens et les Amérindiens sont plus proches des Anciens Nord Eurasiens que des Anciens Nord Sibériens:
Les modèles démographiques montrent que les ancêtres des Anciens Paléosibériens, des Anciens Béringiens (Upward Sun River 1) et des Amérindiens ont divergé il y a environ 30.000 ans des ancêtres des Est Asiatiques. De plus les ancêtres des Paléosibériens ont divergé des ancêtres des Anciens Béringiens et des Amérindiens il y a environ 24.000 ans:
Enfin les Anciens Paléosibériens, les Anciens Béringiens et les Amérindiens ont reçu un flux de gènes (16 à 18%) des Anciens Nord Sibériens il y a environ 20.000 ans. Un scénario possible est que la Béringie du sud-est a servi de refuge à une population ANS durant le dernier maximum glaciaire et que le mélange génétique ait eu lieu dans ce refuge à l'arrivée d'une population EEA le long de la côte il y a 20.000 ans.
Les études précédentes d'ADN ancien ont documenté les migrations successives des Paléo-eskimos et des Néo-eskimos à travers le détroit de Bering durant l'holocène. L'ancien Saqqaq vieux de 4000 ans (Paléo-eskimo) se regroupe avec l'Ancien Paléosibérien de Duvanny Yar, mais montre également une plus grande affinité génétique avec les Est Asiatiques. On peut le modéliser comme issu d'un mélange génétique entre la population Ancien Paléosibérien (80%) et la population de la grotte de Devil’s Gate (20%). D'autre part les individus de Uelen et Ekven datés entre 3000 et 2000 ans ressemblent à la population Inuit actuelle. On peut les modéliser comme issus d'un mélange génétique entre les Anciens Paléosibériens (69%) et les Anciens Amérindiens (31%), indiquant ainsi une migration inverse des Amériques vers la Sibérie en accord avec les études linguistiques des Eskimo-Aleut, datée entre 5000 et 3000 ans.
L'Analyse en Composantes Principales (voir figure au-dessus) montre que les Sibériens actuels se positionnent sur deux gradients. Le premier le long de la première composante entre les européens (à gauche) et les Est Asiatiques (à droite). Les anciens individus de la grotte de Devil’s Gate se situent avec les Est Asiatiques. Le second gradient est situé le long de la seconde composante entre les Est Asiatiques en bas, et les Amérindiens en haut. Ce gradient inclut notamment les Anciens Paléosibériens (Kolyma_M) et les Inuits actuels. Bien que l'ascendance AP soit largement distribuée en Sibérie au Bronze Ancien, elle se réduit au nord-est à la fin de l'Âge du Bronze comme on le voit dans l'individu de Ol’skaya (Magadan) vieux d'environ 3000 ans et proche des Koryaks et Itelmens actuels. Cependant les Even actuels possèdent seulement 6% d'ascendance AP suite à un flux de gènes daté d'environ 11.000 ans. Ces données suggèrent un changement de population en Sibérie du Nord-Est avec l'arrivée des Néosibériens (Even) en provenance du Sud. Ces Néosibériens ont divergé des Est Asiatiques il y a environ 13.000 ans et ont reçu un faible flux de gènes Paléosibérien il y a environ 11.000 ans. Une exception notable est donnée par les populations comme les Kètes qui sont riches en ascendance ANE et qui sont reliés génétiquement aux Paléo-eskimos. Ils possèdent environ 40% d'ascendance AP. Ces données réconcilient le lien linguistique entre les Kètes parlant une langue ienisseïenne et les athapascans parlant une langue Na-Dene à travers leur ascendance commune des Anciens Paléosibériens.
Enfin la région du lac Baïkal au sud de la Sibérie montre trois ascendances distinctes sur une durée de 6000 ans. Les plus anciens individus montrent une ascendance Est Asiatique prédominante proche des individus de la grotte de Devil’s Gate. A l'Âge du Bronze Ancien, il y a une résurgence des Anciens Paléosibériens, ainsi que l'arrivée d'une ascendance des steppes (ANE) reliée à la culture d'Afanasievo. Ces changements sont également visibles dans la modification des haplogroupes du chromosome Y qui passent de N à Q. Enfin, les plus récents individus datés d'environ 600 ans se rangent dans le groupe des Néosibériens, similaire à l'individu de Yana vieux de 760 ans, du nord-est de la Sibérie. Ces résultats suggèrent une large distribution des Néosibériens à cette époque récente.
La figure ci-dessous montre en haut quelle population ancienne a le plus contribué génétiquement aux populations actuelles. En bas les différentes migrations mises en évidence dans cette étude sont représentées par les différentes flèches: à gauche l'arrivée de la population ANS, au milieu l'arrivée de la population AP avec les flux de gènes issus de la population ANS, et à droite l'arrivée de la population des Néosibériens:
Ainsi les forts signaux issus des populations AP (Kolyma_M) et Est Asiatiques (individus de la grotte de Devil’s Gate) sur les populations actuelles suggèrent que la population des Anciens Paléosibériens fut autrefois largement distribuée entre l'Oural et l'océan Pacifique.
A l'extrême ouest du nord de l'Eurasie, les données génétiques et isotopiques des squelettes du site archéologique de Levänluhta, documentent la présence des Saami et des Finnois au sud de la Finlande il y a environ 1500 ans. Cette ascendance Saami est aujourd'hui limitée au nord de la Scandinavie et reflète le motif observé avec l'ascendance AP dans le nord-est de la Sibérie. Cependant, alors que les Saami possèdent de l'ascendance Est Asiatique, cette dernière est plus proche de l'ascendance des individus de la grotte de Devil’s Gate que des Anciens Paléosibériens, indiquant ainsi que l'ascendance AP n'a pas été plus à l'ouest que l'Oural.
Mise à jour
Ce papier a été définitivement publié en juin 2019: The population history of northeastern Siberia since the Pleistocene