L'utilisation de sépultures collectives est une caractéristique emblématique des sociétés de la seconde moitié du Néolithique en Europe occidentale. Dans le sud de la France, elle est courante à partir de 3500 av. JC. entre le chasséen et les multiples cultures qui émergent à la fin du Néolithique. On suppose que ces sépultures étaient utilisées sur plusieurs générations par la même communauté, symbolisant le culte des ancêtres sans mettre en évidence les identités individuelles. Il a été également suggéré que ces sépultures abritaient les restes de plusieurs familles afin de renforcer les liens sociaux politiques entre les différents groupes.
L'aven de la Boucle est localisé sur la commune de Corconne dans le Gard. Il a été utilisé comme sépulture collective à partir de la moitié du quatrième millénaire av. JC. Les restes humains représentent un nombre minimum de 75 individus avec peu de connections anatomiques. Deux couches archéologiques: C4a et C4b ont été mises en évidence. A la base (C4b), les vestiges céramiques indiquent une transition entre le chasséen et la culture Ferrières. Au dessus (C4a), le mobilier archéologique correspond à la culture Ferrières. Par la suite la sépulture a été utilisée par la culture Fontbouisse à la fin du troisième millénaire av. JC., puis à la fin de l'Âge du Bronze.
Ana Arzelier et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Ancient DNA sheds light on the funerary practices of late Neolithic collective burial in southern France. Ils ont analysé le génome de 37 individus issus de l'aven de la Boucle dont 34 d'entre eux sont datés du Néolithique entre 3800 et 2900 av. JC. et les trois autres de l'Âge du Bronze:
Les résultats indiquent que parmi ces individus il y a 28 hommes et 8 femmes. Un individu possède un caryotype de type XYY correspondant à un cas rare de trisomie qui affecte certains hommes sans ou avec des symptômes comme une forte stature, des problèmes d'apprentissage ou de fertilité. Les haplogroupes mitochondriaux sont H (n=13), K (n=8), U (n=9), T (n=4), X2b (n=2) et V (n=1). Il y a notamment cinq individus d'haplogroupe U5b, un individu d'haplogroupe U2e1c1, un individu d'haplogroupe U4 et un individu d'haplogroupe U8. Tous ces haplogroupes sont hérités des populations Mésolithiques d'Europe occidentale. Les hommes du Néolithique ont les haplogroupes du chromosome Y: I2a1 (n=4), H2a1 (n=2), G2a (n=19) et R1b-V88 (n=1). Ce dernier haplogroupe a déjà été identifié dans le Néolithique ancien de Méditerranée occidentale comme à Els Trocs, Cueva de Chaves et Grotta Continenza. La haute fréquence de l'haplogroupe G2a est similaire à ce qui a été auparavant détecté sur le site archéologique contemporain des Treilles (90% de G2a). Enfin deux hommes de l'Âge du Bronze sont de l'haplogroupe R1b-M269 originaire des steppes Pontiques.
Les datations radiocarbone montrent que 25 individus sont datés entre 3800 et 2900 av. JC et confirment l'utilisation de cette sépulture collective entre la seconde moitié du 4ème millénaire et le début du 3ème millénaire av. JC. correspondant à la culture Ferrières dans cette région. Enfin trois individus sont datés de l'Âge du Bronze, le premier entre 1600 et 1500 av. JC. et les autres entre 1200 et 1000 av. JC.
Pour comparer ces génomes avec d'autres génomes anciens ou contemporains, les auteurs ont réalisé une Analyse en Composantes Principales. Dans la figure ci-dessous les anciens individus de l'aven de la Boucle du Néolithique sont représentés par des losanges violets, alors que ceux de l'Âge du Bronze sont représentés par des carrés violets:
Les individus du Néolithique de l'aven de la Boucle sont localisés dans la diversité des populations Néolithiques d'Europe occidentale, notamment ceux de France et de la péninsule Ibérique. Il y a cependant deux valeurs aberrantes: BOU20 et BOU29 qui sont décalées vers le haut et se regroupent avec les populations campaniformes bien qu'elles soient datées d'une période antérieure à la culture campaniforme. De plus l'individu BOU6 est décalé vers les chasseurs-cueilleurs de l'ouest de l'Europe. Ces résultats sont confirmés par l'utilisation du logiciel qpWave. Les trois individus de l'Âge du bronze se regroupent avec BOU20 et BOU29 et avec les individus campaniformes et de l'Âge du Bronze du sud de la France. De manière plus précise, la statistique f3 indique que les anciens Néolithiques de l'aven de la Boucle sont proches génétiquement des Néolithiques du site des Peirières daté entre 2900 et 2650 av. JC. et du site du Collet Redon daté entre 3600 et 3400 av. JC. De plus BOU20 a le plus d'affinité génétique avec un individu de Murcie en Espagne daté entre 2900 et 2600 av. JC. et BOU29 avec un individu de Tangermünde en Allemagne de la fin du Néolithique.
L'utilisation du logiciel qpAdm permet de modéliser les anciens individus du Néolithique de l'aven de la Boucle comme issus d'un mélange génétique entre une population de fermiers d'Anatolie (entre 63,8 et 85,3%) et une population de chasseurs-cueilleurs de l'ouest (entre 14,7 et 36,2%). De plus les auteurs ont montré que certains de ces individus peuvent être modélisés comme issus d'un mélange génétique entre trois populations: chasseurs-cueilleurs de l'ouest, fermiers d'Anatolie et fermiers d'Iran. Notamment les deux outliers: BOU20 et BOU29 sont ceux qui possèdent le plus d'ascendance Iranienne: 19,9 et 21,9% respectivement.
Les trois individus de l'Âge du Bronze correspondent à une femme et deux hommes appartenant à l'haplogroupe du chromosome Y: R1b-M269 associé à la dispersion des pasteurs des steppes Pontiques. Leur proportion d’ascendance des steppes varie entre 17 et 43%.
La communauté Néolithique de l'aven des Boucles est sous représentée en femmes puisqu'il n'y en a que huit pour 26 hommes, soit une ratio de 76% d'hommes. Ces hommes appartiennent en très grosse majorité à l'haplogroupe du chromosome Y: G2a2 (19 sur 26 soit 73%). A l'inverse, leurs haplogroupes mitochondriaux sont beaucoup plus divers. Ces résultats sont souvent associés à une société patrilocale avec exogamie féminine. Les auteurs ont recherché les éventuels liens de parenté entre ces individus. Notamment deux femmes: BOU13 et BOU34 sont deux sœurs d'haplogroupe mitochondrial H4a reliées également au second degré à plusieurs autres individus:
Les auteurs n'ont pas réussi à déterminer un arbre généalogique certain entre ces différents individus, mais ils représentent néanmoins une famille très proche qui a utilisé ce lieu comme sépulture entre 3600 et 2900 av. JC.
Les auteurs ont ensuite analysé les segments d'homozygotie de cette communauté Néolithique. Ainsi trois individus: BOU31, BOU28 et BOU35 possèdent de longs segments compatibles avec le fait que leurs parents devaient être reliés au second degré.
Les auteurs ont utilisé des modèles bayésiens pour modéliser les différentes datations radiocarbone. La couche la plus ancienne C4b, est datée entre 3600 et 3185 av. JC., alors que la couche la plus récente C4a, est datée entre 3140 et 2880 av. JC. Cependant il n'y a pas de séparation nette entre ces deux couches. Il semble qu'il y ait eu une continuité d'utilisation de cette sépulture collective tout le long de la période d'utilisation au Néolithique. Les auteurs ont mis en évidence un certain nombre de corrélations temporelles. Notamment la présence de l'haplogroupe du chromosome Y: I2 et de l'haplogroupe mitochondrial U5 coïncident dans le temps avec la couche C4b. Dès le début de la phase d'occupation, il y a des hommes d'haplogroupe du chromosome Y: G2a. Cependant, la fréquence de cet haplogroupe augmente lorsque la fréquence de l'haplogroupe I2 diminue. De manière intéressante la fréquence de l'haplogroupe G2a est bien corrélée avec la fréquence de l'ascendance Iranienne:
Génomes anciens dans une sépulture collective du Néolithique du sud de la France
dimanche 1 septembre 2024. Lien permanent ADN ancien
2 réactions
1 De lecteur - 14/09/2024, 08:22
Bonjour m Sécher
question que je me pose .
Sait-on, au total , quel est le nombre exact ( actuellement connu)
1 ) d'haplogroupes masculins ADN-Y
en tenant compte de l'ensemble des sous-groupes, variants , très nombreux
2 ) idem pour l' ADN mt .
merci beaucoup.
2 De Bernard - 15/09/2024, 17:13
Bonjour lecteur, votre réponse à plusieurs réponses possibles en fonction de la définition que vous donnez à l'haplogroupe. Je vous renvoie à l'article sur le sujet dans wikipedia: https://fr.wikipedia.org/wiki/Haplo... : Dans l'étude de l'évolution moléculaire, un haplogroupe est un grand groupe d'haplotypes, qui sont des séries d'allèles situés à des sites spécifiques dans un chromosome et qui sont définis par des mutations par polymorphisme nucléotidique singulier. Bonne journée