La compréhension de l'organisation sociale des sociétés du passé est un point crucial de l'archéologie. En l'absence de trace écrite, la structure sociale préhistorique est reconstruite principalement à partir des sépultures. L'étude des relations entre défunts permettent de comprendre le rôle spécifique de la structure familiale dans l'organisation sociale du groupe étudié. Ces relations familiales regroupent non seulement les relations biologiques, mais aussi des rapports plus complexes entre les individus. L'analyse de l'ADN ancien permet de mettre en évidence les liens biologiques entre les individus. L’avènement du néolithique a fait grossir la taille des populations et augmenter la pression sociale entre les individus. Cette période correspond ainsi à un accroissement certain des inégalités qui s'est encore accentué au Chalcolithique et à l'Âge du Bronze pour devenir visible dans le mobilier funéraire de ces périodes. Cet accroissement a vu l'émergence de la notion de chefferie associée à une élite individuelle.
Aleksandra Žegarac et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Ancient genomes provide insights into family structure and the heredity of social status in the early Bronze Age of southeastern Europe. Ils ont séquencé le génome de 24 squelettes appartenant à la nécropole de Mokrin, située dans le nord de la Serbie. Cette nécropole est affiliée à la culture de Maros qui s'étale entre 2700 et 1500 av. JC. dans la région située à cheval entre le sud-est de la Hongrie, l'ouest de la Roumanie et le nord de la Serbie:
Les datations radiocarbone montent que cette nécropole a été utilisée entre 2100 et 1800 av. JC. Avec plus de 300 sépultures elle est une des plus grosses nécropoles de cette culture. La plupart des tombes sont des sépultures individuelles. Les squelettes sont placés face à l'est, les hommes sont sur le côté gauche avec la tête au nord alors que les femmes sont sur le côté droit avec la tête au sud comme dans la culture campaniforme.
Parmi les 24 individus étudiés ici, il y a 14 adultes et 10 enfants enterrés dans 22 tombes. Deux individus sont issus d'une sépulture double et deux autres sont issus d'une sépulture triple. Sur la base du mobilier archéologique, chaque squelette est associé à un statut social haut ou bas. L'étude des chromosomes X et Y a permis de dire que parmi ces 24 individus il y a dix hommes et quatorze femmes en accord avec l'étude anthropologique. Seuls trois de ces individus ne respectent pas le rituel funéraire à savoir la tête au nord pour les hommes et la tête au sud pour les femmes, dont deux sont issus de sépultures multiples:
Les échantillons de Mokrin montrent une forte diversité mitochondriale (U, H, T2, K1 et J1) mais également du chromosome Y (I2a, R1b et J2b).
L'Analyse en Composantes Principales montrent que les individus de Mokrin forment une population homogène sans structure génétique:
En moyenne cette population possède 12,5% d'ascendance chasseurs-cueilleurs des Balkans, 53,7% d'ascendance fermiers de la région Égéenne et 33,8% d'ascendance pasteurs des steppes. Le coefficient de consanguinité est très faible.
Les auteurs ont ensuite mis en évidence les relations familiales entre individus. Ainsi sur les 24 squelettes, 15 sont reliés du premier au troisième degré. Globalement les individus de la même famille sont enterrés à proximité dans le cimetière. Il y a trois relations parent/enfant, deux relations entre frère et sœur, trois relations au second degré (demi frère et sœur ou grand-parent/petit-enfant) et une relation au troisième degré entre cousins:
Neuf individus ont aucune relation avec les autres. Il s'agit de neuf femmes: six adultes et trois jeunes filles. Elles sont réparties uniformément dans le cimetière. De manière intéressante, parmi les relations parent/enfant il n'y a aucun père et aucune fille. Il s'agit à chaque fois d'une mère et de son fils. Ces résultats suggèrent une certaine exogamie féminine dans laquelle les filles quittent le lieu de leur enfance pour aller se marier. Ceci a déjà été mis en évidence dans les cimetières de la vallée de la Lech en Bavière, dans des cimetières du Campaniforme dans le sud de l'Allemagne ou à la transition néolithique/âge du Bronze en Suisse. Par contre ces résultats ne permettent pas de conclure sur une éventuelle patrilocalité de la société de Mokrin.
L'étude d'un éventuel héritage du statut social peut se faire à partir des trois couples mère/fils. La femme de la sépulture 228 est la mère de l'adolescent de 15 à 18 ans de la sépulture 260. Si la mère a un riche mobilier son fils n'a aucun mobilier archéologique. Ainsi le fils n'a pas hérité du statut social de sa mère. De même la femme de la sépulture 257A est la mère de l'homme de la sépulture 243. La femme est de bas statut social, alors que son fils possède une hache signe de haut statut. Enfin la femme de la sépulture 181 est la mère de l'homme de la sépulture 163. Ils sont tous les deux de haut statut social. Ces différents exemples suggèrent qu'il n'y a pas d'héritage du statut entre mère et fils. D'autre part quelques exemples montrent que certaines jeunes filles peuvent avoir un haut statut social. C'est le cas de la jeune fille de 9 à 11 ans de la sépulture 161. Par contre son frère de la sépulture 295 mort entre 15 et 20 ans, est de bas statut. Ce résultat suggère que seules les filles pourraient hériter du statut social de leurs parents possiblement sous la forme de dot de mariage. Une autre explication serait que seuls les jeunes enfants hériteraient du statut de leurs parents. Enfin il y a l'exemple des deux cousins où une femme est de haut statut alors que son cousin est un jeune garçon de bas statut.
Relations familiales et héritage du statut social dans un cimetière du début de l'Âge du Bronze de Serbie
jeudi 13 mai 2021. Lien permanent ADN ancien